en le frappant, lui avait ouvert du moins l'asile de la paix de
l'ame, de la liberte d'esprit, de la tranquillite studieuse; et que le
philosophe du monde pouvait devenir aujourd'hui le philosophe de Dieu.
Abelard hesitait a suivre ces conseils; il lui en coutait de reparaitre
aux yeux des hommes. Mais il ne trouvait pas, dans l'abbaye de
Saint-Denis, le repos qu'il esperait. Il l'avait choisie comme la
premiere du royaume. On y avait recu avec empressement un homme qui
devait illustrer la communaute. On y attendait de lui de l'eclat et
du bruit; il y cherchait le silence, la regle, l'oubli. Le premier
mouvement de son desespoir avait du etre le renoncement absolu au
monde. Or, l'antique fondation de Dagobert, agrandie et enrichie par la
munificence de la longue suite de rois, ses successeurs, cette maison
toute royale, une des institutions de la monarchie, monastere, dit saint
Bernard, plus devoue a Cesar qu'a Dieu, n'etait nullement etrangere aux
choses mondaines, et tenait au siecle par de nombreux liens.
Irritable et attriste, Abelard y trouvait la vie peu reguliere, les
moeurs relachees. Il accusait l'abbe Adam lui-meme de desordres
qu'aggravait sa dignite[94]. Habitue au ton du commandement, prompt a
tout regenter autour de lui, il s'eleva contre les dereglements dont il
etait temoin, et ses reproches qui n'etaient pas toujours discrets,
le rendirent bientot a charge a tout le monde. Ses freres importunes
saisirent avec empressement les instances de ses disciples comme une
occasion de l'eloigner, et le presserent d'y ceder en reprenant ses
lecons. Il resista longtemps; il repugnait a revoir le grand jour.
Cependant amis, ennemis, ecoliers, religieux, l'abbe lui-meme
insistaient, et entrant alors dans cette vie, de mobilite et de
tentatives changeantes que son ame inquiete allait prolonger, il
s'etablit dans le prieure de Maisoncelle, situe sur les terres du comte
de Champagne[95] pour y rouvrir son ecole a la maniere accoutumee.
[Note 94: La maniere dont Abelard parle des desordres de l'abbe et
des moines de Saint-Denis, ne permet pas le moindre doute. Ces desordres
sont affirmes par saint Bernard, par Guillaume de Nangis, par les
annales meme du monastere. La chose etait commune alors dans beaucoup de
couvents, et il n'y avait pas cent ans que les memes desordres, dans la
meme maison, avaient necessite une reforme entreprise par saint Odilon.
Deux actes d'administration charitable de l'abbe Adam, rapportes pa
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