donnait en fremissant, pour se
donner a l'epoux divin sans foi, sans amour et sans esperance[92].
[Note 92: _Ab. Op._, ep. ii. p. 45 et 47.]
Voila donc Abelard religieux a Saint-Denis. Le present et l'avenir, tout
est change pour lui. Il a renonce a la fortune, a l'eclat, a la gloire
du monde, et il se tourne, mais avec peu de gout et de ferveur, vers la
solitude chretienne. Dans les premiers moments, son coeur n'etait rempli
que de regrets et de ressentiments. Il ne meditait que la vengeance.
Il reprochait l'impunite de Fulbert a la faiblesse de l'eveque, aux
machinations des chanoines; il les accusait tous de complicite, et
voulait aller a Rome les denoncer comme coupables envers la justice. Il
fallut les efforts de ses amis pour l'en dissuader. Un d'eux (on
lui donne du moins ce titre), Foulque, prieur de Deuil, fut oblige
d'insister aupres de lui sur sa pauvrete qui ne lui permettait pas
d'accomplir un si long voyage, ni de satisfaire aux depenses que coutait
la justice ou la cupidite romaine, sur l'imprudence qu'il y aurait de
s'aliener pour jamais les chefs du clerge parisien, sur les sentiments
d'equite et de charite que lui commandait sa nouvelle profession. Enfin
il lui repeta cette triste parole: "Vous etes moine[93]."
[Note 93: _Monachus es._ (_Ab. Op._, pars II, ep. i, p. 222, 223.)
Le prieure de Deuil, dependant de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur,
etait situe dans la vallee de Montmorency. Foulque n'est connu que par
sa lettre a Abelard. (Bayle, art. _Foulque.--Hist. litt._, t. XII, p.
240.)]
Il etait moine en effet, et la necessite, sinon le devoir, lui
prescrivait de vivre suivant son etat. Une premiere ressource s'offrait
a lui, c'etait l'etude; mais d'abord l'etude lui sembla sans attrait;
elle n'apportait plus la gloire avec elle. Toutefois des clercs venaient
le voir, et l'abbe de Saint-Denis, Adam, se joignait a eux pour lui dire
que le moment peut-etre etait arrive de se consacrer plus que jamais au
travail, et surtout aux recherches theologiques. Ils lui repetaient que
maintenant l'amour du ciel lui pouvait inspirer ce que jadis peut-etre
lui avait suggere le desir de la reputation et de la fortune; que
son devoir etait de faire valoir le talent que, selon la parabole
evangelique, le Seigneur lui avait remis, comme a son serviteur, et
qu'il reclamerait un jour avec usure. Ils ajoutaient que si, jusqu'ici,
il avait instruit les riches, il lui restait a eclairer les pauvres; que
le ciel,
|