es seduisaient sans
doute l'esprit d'Heloise; mais la situation presente pesait sur lui;
il se flattait de tenir ses liens eternellement secrets; et dans
son aveuglement, il repoussait les inquietudes d'une femme trop
clairvoyante, et se confiait a l'avenir. Sa volonte obtint ce
qu'Heloise, dans l'exces de son devouement, appelait un sacrifice.
Elle se resigna a devenir la femme de celui qu'elle aimait plus que la
lumiere du jour. Cependant, en consentant avec des soupirs et des larmes
a son hymen, elle dit ces tristes mots: "Il ne nous reste plus qu'a
donner par notre perte commune l'exemple d'une douleur egale a notre
amour."
"Le monde entier a connu," dit Abelard, "que dans ces paroles l'esprit
de prophetie l'inspira[82]."
[Note 82: Id, Ep. I, p. 16.--On remarquera que dans tous ces
raisonnements le sacerdoce n'est pas allegue comme un empechement; il
n'en faudrait pas conclure rigoureusement qu'Abelard ne fut pas pretre.
Il ne regardait pas le mariage comme absolument interdit aux gens
d'Eglise. (_Ab. Epit. theol._, p. 91, Berlin, 1836, et ci-apres l. III,
c. II.)]
Ils quitterent la Bretagne, recommandant leur enfant a leur soeur,
retournerent clandestinement a Paris; et quelques jours apres, ils
passerent la nuit en oraison dans une eglise dont le nom est ignore;
ayant accompli secretement ainsi les vigiles des noces, le matin, au
jour naissant, en presence de Fulbert et de quelques amis, ils recurent
la benediction nuptiale; puis aussitot ils se retirerent sans eclat et
chacun dans sa demeure. A partir de ce moment, leurs entrevues furent
rares et derobees, et tous leurs soins tendirent a cacher leurs nouveaux
liens. Mais ces precautions devinrent inutiles. L'oncle meme d'Heloise
et les gens de la maison, dans le desir imprudent d'effacer un penible
scandale, divulguaient le mariage, violant ainsi la foi promise.
Heloise, au contraire, se recriait et jurait avec imprecations que rien
n'etait plus faux[83]. Irrite de ces dementis, Fulbert l'accablait
d'outrages, et le sejour commun devenait insupportable. Il fallut fuir
encore.
[Note 83: "Illa autem contra anathematizare et jurare." (Ep. 1, p.
17.)]
Il y avait pres de Paris au village d'Argenteuil, sur les bords de la
Seine, un couvent de femmes dedie a la Vierge, etabli sous la regle de
Saint-Benoit, et richement dote par Adelaide, femme de Hugues Capet[84].
Une partie de l'enfance d'Heloise s'y etait ecoulee: c'est la que la
conduisit son mari. Il y
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