dont
l'ame etait ailleurs. Il leur semblait l'avoir perdu, et quelques-uns ne
pouvaient voir sans alarmes ce que tous voyaient avec douleur. Il est
impossible que les ennemis secrets d'Abelard n'en ressentissent pas
une joie egale; mais ils ne la montraient pas, et telle etait alors sa
puissance ou la liberte des moeurs, qu'il ne parait pas que le bruit de
son aventure lui ait beaucoup nui dans les premiers temps, ni qu'on ait
songe a la tourner contre lui. Il etait clerc, nous savons qu'il portait
le titre de chanoine; on a meme cru, bien que sans preuve, qu'il etait
deja pretre[72]. Mais dans le relachement et la rudesse du moyen age,
le dereglement ne faisait un tort serieux qu'au jour ou il devenait
l'occasion de quelque violence. Or ici rien de semblable; l'aventure
etait publique; on en parlait, on la chantait dans Paris. Nul ne
l'ignorait, hormis, bien entendu, le plus interesse a la savoir. Dans
ses illusions d'affection, de respect et de vanite, Fulbert ne se
doutait de rien, et plusieurs mois se passerent avant qu'il fut averti;
il repoussa meme les premiers avis; mais enfin il concut des soupcons,
et il separa les deux amants.
[Note 72: Il est certain qu'il le fut plus tard. Une fois abbe, il
disait la messe. (_Ab. Op._, part. I, ep. i et iv, part. II, ep. xxiii,
p. 39, 54 et 341.) Mais a l'epoque que nous racontons on ne voit que ces
mots _clericus, canonicus_, et nous ne croyons pas qu'il fut encore
dans les ordres. Aucun historien ne s'explique sur ce point. Un auteur
ecclesiastique ne represente Abelard que comme beneficier, ce qui
l'engageait a de certains voeux, non pas, il est vrai, irrevocables.
Dans ses objections contre le mariage, Heloise l'attaque comme contraire
a la dignite d'un clerc, a sa fortune a venir, dans l'Eglise, mais non
a des engagements formels. Bayle en conclut que le celibat n'etait
pas alors une obligation stricte pour les pretres, mais un devoir
de perfection. D. Gervaise en induit an contraire, quoiqu'avec peu
d'assurance, qu'Abelard etait encore libre, le concile de Reims venant
de renouveler les canons d'un concile tenu a Londres en 1102 contre les
pretres, diacres et sous-diacres qui se marieraient. Mais le concile de
Reims (1119) n'avait pas encore eu lieu, et ses defenses prouvent que la
regle du celibat des pretres n'etait pas aussi solennellement consacree
et suivie qu'elle l'a ete depuis. Nous voyons d'ailleurs, dans un des
ouvrages d'Abelard, qu'il pensait qu'un pretr
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