Dans le sombre chemin;
Je n'ai pas eu le temps de batir la colonne
Ou la gloire viendra suspendre ma couronne;
O mort, reviens demain!
Vierge aux beaux seins d'albatre, epargne ton poete,
Souviens-toi que c'est moi qui le premier t'ai faite
Plus belle que le jour;
J'ai change ton teint vert en paleur diaphane,
Sous de beaux cheveux noirs j'ai cache ton vieux crane,
Et je t'ai fait la cour.
Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges,
Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
Je forgerai des croix;
Je ferai dans l'eglise et dans le cimetiere
Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre
Comme au tombeau des rois!
Je te consacrerai mes chansons les plus belles:
Pour toi j'aurai toujours des bouquets d'immortelles
Et des fleurs sans parfum.
J'ai plante mon jardin, o mort, avec tes arbres;
L'if, le buis, le cypres y croisent sur les marbres
Leurs rameaux d'un vert brun.
J'ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre,
Au lis majestueux ouvrant son blanc cratere,
A la tulipe d'or,
A la rose de mai que le rossignol anime,
J'ai dit au dahlia, j'ai dit au chrysantheme,
A bien d'autres encor.
Ne croissez pas ici! cherchez une autre terre,
Frais amours du printemps; pour ce jardin austere
Votre eclat est trop vif:
Le houx vous blesserait de ses pointes aigues,
Et vous boiriez dans l'air le poison des cigues,
L'odeur acre de l'if.
Ne m'abandonne pas, o ma mere, o nature,
Tu dois une jeunesse a toute creature,
A toute ame un amour;
Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse,
Je ne puis rien aimer. Je veux une jeunesse,
N'eut-elle qu'un seul jour.
Ne me sois pas maratre, o nature cherie,
Redonne un peu de seve a la plante fletrie
Qui ne veut pas mourir;
Les torrents de mes yeux ont noye sous leur pluie
Son bouton tout ronge que nul soleil n'essuie,
Et qui ne peut s'ouvrir.
Air vierge, air de cristal, eau principe du monde,
Terre qui nourris tout, et toi flamme feconde,
Rayon de l'oeil de Dieu,
Ne laissez pas mourir, vous qui donnez la vie,
La pauvre fleur qui penche et qui n'a d'autre envie
Que de fleurir un peu!
Etoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes,
Faites pleuvoir sur moi, de vos paupieres blondes,
Vos pleurs de diamant;
Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre,
Verse-moi tes rayons, o blanche solitaire,
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