tous ces fronts palis, sous cet air de souffrance
Brille ineffablement quelque haute esperance;
L'on voit que tout ce peuple agenouille n'attend
Pour revoler aux cieux que le supreme instant.
Dans ces tableaux, partout l'ame glorifiee
Foule d'un pied vainqueur la chair mortifiee;
L'ombre remplit le bas, le haut rayonne seul,
Et chaque draperie a l'aspect d'un linceul.
C'est que la vie alors de croyance etait pleine,
C'est qu'on sentait passer dans l'air du soir l'haleine
De quelque ange attarde s'en retournant au ciel;
C'est que le sang du Christ teignait vraiment l'autel;
C'est qu'on etait au temps de saint Francois d'Assise,
Et que sur chaque roche une cellule assise
Cachait un fou sublime, insense de la Croix;
Le desert se peuplait de lueurs et de voix;
Dans toute obscurite rayonnait un mystere,
On aimait, et le ciel descendait sur la terre.
Gothique Albert Durer, oh! que profondement
Tu comprenais cela dans ton coeur d'Allemand!
Que de virginite, que d'onction divine
Dans ces pales yeux bleus, ou le ciel se devine!
Comme on sent que la chair n'est qu'un voile a l'esprit!
Comme sur tous ces fronts quelque chose est ecrit,
Que nos peintres sans foi ne sauraient pas y mettre,
Et qui se lit partout dans ton oeuvre, o grand maitre!
C'est que tu n'avais pas, lui faisant double part,
D'autre amour dans le coeur que celui de ton art;
C'est que l'on ne dit pas, voyant aux galeries
L'ovale gracieux de tes belles Maries,
O mon chaste poete! o mon peintre chretien!
Comme de Raphael et comme de Titien,
Voici la Fornarine, ou bien la Muranese.
Tout terrestre desir devant elle s'apaise,
Car tu ne t'en vas point, tout rempli de ton Dieu,
Emprunter ta madone a quelque mauvais lieu.
Tu ne t'accoudes pas sur les nappes rougies,
Tu ne fais pas souler dans de sales orgies,
L'art, cet enfant du ciel sur le monde jete
Pour que l'on crut encore a la sainte beaute.
Tu n'avais ni chevaux, ni meute, ni maitresse;
Mais, le coeur inonde d'une austere tristesse,
Tu vivais pauvrement a l'ombre de la Croix,
En Allemand naif, en honnete bourgeois,
Tapi comme un grillon dans l'atre domestique;
Et ton talent cache, comme une fleur mystique,
Sous les regards de Dieu, qui seul le connaissait,
Repandait ses parfums et s'epanouissait.
Il me semble te voir au coin de ta fenetre
Etroite, a vitraux peints, dans ton fauteuil d'ancetre.
L'ogive encadre un fond bleuissant d'outremer,
Comme dans tes tableaux; o vieil Albert Durer!
Nuremberg sur l
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