e ciel dresse ses mille fleches,
Et decoupe ses toits aux silhouettes seches,
Toi, le coude au genou, le menton dans la main,
Tu reves tristement au pauvre sort humain:
Que pour durer si peu la vie est bien amere,
Que la science est vaine et que l'art est chimere,
Que le Christ, a l'eponge, a laisse bien du fiel,
Et que tout n'est pas fleurs dans le chemin du ciel;
Et l'ame d'amertume et de degout remplie,
Tu t'es peint, o Durer! dans ta melancolie,
Et ton genie en pleurs te prenant en pitie,
Dans sa creation t'a personnifie.
Je ne sais rien qui soit plus admirable au monde,
Plus plein de reverie et de douleur profonde
Que ce grand ange assis, l'aile ployee au dos,
Dans l'immobilite du plus complet repos.
Son vetement drape d'une facon austere,
Jusqu'au bout de son pied s'allonge avec mystere;
Son front est couronne d'ache et de nenuphar;
Le sang n'anime pas son visage blafard;
Pas un muscle ne bouge: on dirait que la vie
Dont on vit en ce monde a ce corps est ravie,
Et pourtant l'on voit bien que ce n'est pas un mort.
Comme un serpent blesse son noir sourcil se tord,
Son regard dans son oeil brille comme une lampe,
Et convulsivement sa main presse sa tempe.
Sans ordre autour de lui mille objets sont epars,
Ce sont des attributs de sciences et d'arts;
La regle et le marteau, le cercle emblematique,
Le sablier, la cloche et la table mystique,
Un mobilier de Faust, plein de choses sans nom;
Cependant c'est un ange et non pas un demon.
Ce gros trousseau de clefs qui pend a sa ceinture,
Lui sert a crocheter les secrets de nature.
Il a touche le fond de tout savoir humain;
Mais comme il a toujours, au bout de tout chemin,
Trouve les memes yeux qui flamboyaient dans l'ombre,
Qu'il a monte l'echelle aux echelons sans nombre,
Il est triste; et son chien, de le suivre lasse,
Dort a cote de lui, tout vieux et tout casse.
Dans le fond du tableau, sur l'horizon sans borne,
Le vieux pere Ocean leve sa face morne,
Et dans le bleu cristal de son profond miroir,
Reflechit les rayons d'un grand soleil tout noir.
Une chauve-souris, qui d'un donjon s'envole,
Porte ecrit dans son aile ouverte en banderolle:
MELANCOLIE. Au bas, sur une meule assis,
Est un enfant dont l'oeil, voile sous de longs cils,
Laisse le spectateur dans le doute s'il veille,
Ou si, berce d'un reve, en lui-meme il sommeille.
Voila comme Durer, le grand maitre allemand,
Philosophiquement et symboliquement,
Nous a represente, dans ce dessin etrange,
Le re
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