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La gravure sonner comme une vieille armure,
Et le papier muet semble jeter des cris.
Un pont, par ou se rue une foule en demence,
Arc-en-ciel de carnage, ouvre sa courbe immense,
Et, d'un cadre de pierre, entoure le tableau;
A travers l'arche, on voit une ville enflammee,
D'ou montent, en tournant, de longs flots de fumee,
Dont le rouge reflet brille et tremble sur l'eau.
Une barque, pareille a la barque des ombres,
Glisse sinistrement au dos des vagues sombres,
Portant, triste fardeau, des vaincus et des morts;
Une averse de sang pleut des tetes coupees;
Des mains, par l'agonie, eperdument crispees,
Avec leurs doigts noueux s'accrochent a ses bords.
Pour recevoir le corps, mort ou vivant, qui tombe,
Le grand fleuve a toujours toute prete une tombe;
Il le berce un moment, et puis il l'engloutit;
Les flots toujours beants, de leurs gueules voraces,
Devorent cavaliers, chevaux, casques, cuirasses,
Tout ce que le combat jette a leur appetit.
Ici c'est un cheval qui s'effare et se cabre,
Et se fait, dans sa chute, une blessure au sabre
Qu'un mourant tient encor dans son poing fracasse;
Plus loin, c'est un carquois plein de fleches, qui verse
Ses dards en pluie aigue, et dont chaque trait perce
Un cadavre deja de cent coups traverse.
C'est un rude combat! chevelures, crinieres,
Panaches et cimiers, enseignes et bannieres,
Au souffle des clairons volent echeveles;
Les lances, ces epis de la moisson sanglante,
S'inclinent a leur vent en tranche etincelante,
Comme sous une pluie on voit pencher des bles.
Les glaives denteles font d'affreuses morsures;
Le poignard altere, plongeant dans les blessures,
Comme dans une coupe, y boit a flots le sang;
Et les epieux, rompant les armes les plus fortes,
Pour le ciel ou l'enfer, ouvrent de larges portes
Aux ames qui des corps sortent en rugissant.
Quelle ferocite de dessin et de touche,
Quelle sauvagerie et quelle ardeur farouche!
Qui signa ce poeme etrange et vehement?
C'est toi, maitre supreme, a la main turbulente,
Peintre au non rouge, roi de la couleur brulante,
Divin Neerlandais, Michel-Ange flamand!
C'est toi, Rubens, c'est toi, dont la rage sublime,
Pencha cette bataille au bord de cet abime,
Qui joignis ses deux bouts comme un bracelet d'or,
Et lui mis pour camee un beau groupe de femmes,
Si blanches, que le fleuve aux triomphantes lames,
S'apaise et n'ose pas les submerger encor!
II.
Car ce sont, o pitie! des femmes, des guerrieres
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