ns la glace on projette;
Le present qui se fait passe.
Un a-compte d'un an pris sur les ans qu'a vivre
Dieu veut bien nous preter; une feuille du livre
Tournee avec le doigt du temps;
Une scene nouvelle a rajouter au drame;
Un chapitre de plus au roman dont la trame
S'embrouille d'instants en instants;
Un autre pas de fait dans cette route morne
De la vie et du temps, dont la derniere borne
Proche ou lointaine est un tombeau,
Ou l'on ne peut poser le pied qu'il ne s'enfonce,
Ou de votre bonheur toujours a chaque ronce,
Derriere vous reste un lambeau.
Du haut de cette annee avec labeur gravie,
Me tournant vers ce moi qui n'est plus dans ma vie
Qu'un souvenir presque efface,
Avant qu'il ne se plonge au sein de l'ombre noire,
Je contemple un moment, des yeux de la memoire,
Le vaste horizon du passe.
Ainsi le voyageur, du haut de la colline,
Avant que tout a fait le versant qui s'incline
Ne les derobe a son regard,
Jette un dernier coup d'oeil sur les campagnes bleues
Qu'il vient de parcourir, comptant combien de lieues
Il a fait depuis son depart.
Mes ans evanouis a mes pieds se deploient
Comme une plaine obscure ou quelques points chatoient
D'un rayon de soleil frappes.
Sur les plans eloignes qu'un brouillard d'oubli cache
Une epoque, un detail nettement se detache
Et revit a mes yeux trompes.
Ce qui fut moi jadis m'apparait: silhouette
Qui ne ressemble plus au moi qu'elle repete;
Portrait sans modele aujourd'hui;
Spectre dont le cadavre est vivant; ombre morte
Que le passe ravit au present qu'il emporte,
Reflet dont le corps s'est enfui.
J'hesite en me voyant devant moi reparaitre;
Helas! et j'ai souvent peine a me reconnaitre
Sous ma figure d'autrefois.
Comme un homme qu'on met tout a coup en presence
De quelque ancien ami dont l'age et dont l'absence
Ont change les traits et la voix.
Tant de choses depuis, par cette pauvre tete,
Ont passe; dans cette ame et ce coeur de poete,
Comme dans l'aire des aiglons,
Tant d'oeuvres que couva l'aile de ma pensee,
Se debattent heurtant leur coquille brisee,
Avec leurs ongles deja longs.
Je ne suis plus le meme, ame et corps tout differe,
Hors le nom, rien de moi n'est reste; mais qu'y faire?
Marcher en avant, oublier.
On ne peut sur le temps reprendre une minute,
Ni faire remonter un grain apres sa chute
Au fond du fatal sablier.
La tete de l'enfant n'est plus dans cette tete,
Maigre, decoloree, ainsi que
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