dormi de son bleuatre amant,
Par la porte d'ivoire et la porte de corne.
Les songes vrais ou faux de l'Erebe envoles,
Peuplent seuls l'univers silencieux et morne;
Les cheveux de la nuit, d'etoiles d'or meles,
Au long de son dos brun pendent tout deboucles;
Le vent meme retient son haleine, et les mondes,
Fatigues de tourner sur leurs muets pivots,
S'arretent assoupis et suspendent leurs rondes.
O jeune homme charmant! couronne de pavots,
Qui tenant sur la main une patere noire,
Pleine d'eau du Lethe, chaque nuit nous fais boire,
Mieux que le doux Bacchus, l'oubli de nos travaux;
Enfant mysterieux, hermaphrodite etrange,
Ou la vie, au trepas, s'unit et se melange,
Et qui n'as de tous deux que ce qu'ils ont de beau;
Sous les epais rideaux de ton alcove sombre,
Du fond de ta caverne inconnue au soleil;
Je t'implore a genoux, ecoute-moi, sommeil!
Je t'aime, o doux sommeil! et je veux a ta gloire,
Avec l'archet d'argent, sur la lyre d'ivoire,
Chanter des vers plus doux que le miel de l'Hybla;
Pour t'apaiser je veux tuer le chien obscene,
Dont le rauque aboiement si souvent te troubla,
Et verser l'opium sur ton autel d'ebene.
Je te donne le pas sur Phebus-Apollon,
Et pourtant c'est un dieu jeune, sans barbe et blond,
Un dieu tout rayonnant, aussi beau qu'une fille;
Je te prefere meme a la blanche Venus,
Lorsque, sortant des eaux, le pied sur sa coquille,
Elle fait au grand air baiser ses beaux seins nus,
Et laisse aux blonds anneaux de ses cheveux de soie
Se suspendre l'essaim des zephirs ingenus;
Meme au jeune Iacchus, le doux pere de joie,
A l'ivresse, a l'amour, a tout divin sommeil.
Tu seras bienvenu, soit que l'aurore blonde
Leve du doigt le pan de son rideau vermeil,
Soit, que les chevaux blancs qui trainent le soleil
Enfoncent leurs naseaux et leur poitrail dans l'onde,
Soit que la nuit dans l'air peigne ses noirs cheveux.
Sous les arceaux muets de la grotte profonde,
Ou les songes legers menent sans bruit leur ronde,
Recois benignement mon encens et mes voeux,
Sommeil, dieu triste et doux, consolateur du monde!
TERZA RIMA.
Quand Michel-Ange eut peint la chapelle Sixtine,
Et que de l'echafaud, sublime et radieux,
Il fut redescendu dans la cite latine,
Il ne pouvait baisser ni les bras ni les yeux;
Ses pieds ne savaient plus comment marcher sur terre;
Il avait oublie le monde dans les cieux.
Trois grands mois il garda cette attitude austere;
On l'eut pris pour un ange en extase deva
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