avais reve l'empire, et la boule du monde
Dans ma main sonnait creux.
Ah! le sort des bergers, et le hetre ou Tytire
Dans la chaleur du jour a l'ecart se retire
Et chante Amaryllis,
Le grelot qui resonne et le troupeau qui bele,
Le lait pur ruisselant d'une blanche mamelle
Entre des doigts de lys!
Le parfum du foin vert et l'odeur de l'etable,
Le pain bis des pasteurs, quelques noix sur la table,
Une ecuelle de bois;
Une flute a sept trous jointe avec de la cire,
Et six chevres, voila tout ce que je desire,
Moi, le vainqueur des rois.
Une peau de mouton couvrira mes epaules,
Galathee en riant s'enfuira sous les saules
Et je l'y poursuivrai:
Mes vers seront plus doux que la douce ambroisie,
Et Daphnis deviendra pale de jalousie
Aux airs que je jouerai.
Ah! je veux m'en aller de mon ile de Corse,
Par le bois dont la chevre en passant mord l'ecorce,
Par le ravin profond,
Le long du sentier creux ou chante la cigale,
Suivre nonchalamment en sa marche inegale
Mon troupeau vagabond.
Le Sphinx est sans pitie pour quiconque se trompe,
Imprudent, tu veux donc qu'il t'egorge et te pompe
Le pur sang de ton coeur;
Le seul qui devina cette enigme funeste
Tua Laius son pere et commit un inceste:
Triste prix du vainqueur!
IX.
Me voila revenu de ce voyage sombre,
Ou l'on n'a pour flambeaux et pour astre dans l'ombre
Que les yeux du hibou;
Comme apres tout un jour de labourage, un buffle
S'en retourne a pas lents, morne et baissant le muffle,
Je vais ployant le cou.
Me voila revenu du pays des fantomes;
Mais je conserve encor loin des muets royaumes,
Le teint pale des morts.
Mon vetement pareil au crepe funeraire
Sur une urne jete, de mon dos jusqu'a terre,
Pend au long de mon corps.
Je sors d'entre les mains d'une mort plus avare
Que celle qui veillait au tombeau de Lazare;
Elle garde son bien:
Elle lache le corps mais elle retient l'ame;
Elle rend le flambeau, mais elle eteint la flamme,
Et Christ n'y pourrait rien.
Je ne suis plus, helas! que l'ombre de moi-meme,
Que la tombe vivante ou git tout ce que j'aime,
Et je me survis seul,
Je promene avec moi les depouilles glacees
De mes illusions, charmantes trepassees
Dont je suis le linceul.
Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,
O mort... et je ne puis me resoudre a te suivre
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