que pareil sort les attend. Sur les
bords du Niemen, Bourgogne, tombe dans un fosse couvert de glace,
implore vainement, lui aussi, les soldats qui passent. Seul, un vieux
grenadier s'approche.
"Je n'en ai plus!" dit-il en levant ses moignons pour montrer qu'il
n'a pas une main a offrir.
Pres des villes ou les troupes croient trouver la fin de leurs maux,
le retour de l'esperance fait renaitre les sentiments de pitie. Les
langues se delient, on s'informe des camarades, on porte les plus
malades sur des fusils. Bourgogne a vu des soldats garder, pendant des
lieues, leurs officiers blesses sur leurs epaules. N'oublions pas ces
Hessois qui garantissent leur jeune prince contre vingt-huit degres de
froid, passant une nuit serres autour de son corps, comme le faisceau
protecteur d'une jeune plante.
Cependant la fatigue, la fievre, la congelation et ses plaies mal
garanties par des oripeaux de toute provenance, les ravages produits
sur son organisme par une tentative d'empoisonnement, en voila plus
qu'il n'en faut pour faire perdre a notre sergent la piste de son
regiment, comme a tant d'autres!
Seul, il avance peniblement a travers la neige ou il disparait,
parfois, jusqu'aux epaules. Heureux encore d'echapper aux Cosaques, de
trouver des cachettes dans les bois, de reconnaitre, par les cadavres
rencontres, la route suivie par sa colonne! Dans l'obscurite d'une
nuit, il arrive sur le terrain d'un combat. Il butte contre les corps
amonceles d'ou s'eleve un appel plaintif: "Au secours!" En cherchant,
non sans trebucher et tomber a son tour, il reconnait un ami, bien
vivant celui-la, le grenadier Picart, type de troupier degourdi et bon
enfant, dont la joyeuse humeur fait presque tout oublier. Mais un
officier russe annonce que l'Empereur et toute sa Garde ont ete faits
prisonniers, et voila notre loustic saisi d'un acces de folie,
presentant les armes et criant: "Vive l'Empereur!" comme un jour de
revue.
C'est, en effet, chose digne de remarque: malgre ses miseres, le
soldat n'accuse point celui qui est cause de ses infortunes; il reste
devoue, corps et ame, avec la persuasion que Napoleon saura le tirer
du mauvais pas, qu'il ne tardera point a prendre sa revanche. C'etait
une religion: "Picart pensait, comme tous les vieux soldats idolatres
de l'Empereur, qu'une fois qu'ils etaient avec lui, rien ne devait
plus manquer, que tout devait reussir, enfin qu'avec lui, il n'y avait
rien d'impossible". Sans etre aussi o
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