rtait sur des brancards.
"Lorsque nous fumes arrives pres de la grande redoute et qu'elle vit
ce champ de carnage, elle se mit a jeter des cris lamentables. Mais ce
fut bien autre chose, lorsqu'elle apercut a terre les caisses brisees
des tambours du regiment. Alors elle devint comme une femme en delire:
"Ici, l'ami, ici, s'ecria-t-elle! C'est ici qu'ils sont!"
Effectivement ils etaient la, gisants, les membres brises, les corps
dechires par la mitraille, et, comme une folle, elle allait de l'un a
l'autre, leur adressant de douces paroles. Mais aucun ne l'entendait.
Cependant, quelques-uns donnaient encore signe de vie. Le
tambour-maitre, celui qu'elle appelait son pere, etait du nombre.
"Elle s'arreta a celui-la, et, se mettant a genoux, elle lui souleva
la tete afin de lui introduire quelques gouttes d'eau-de-vie dans la
bouche. Dans ce moment, les Russes firent un mouvement pour reprendre
la redoute qu'on leur avait enlevee. Alors la fusillade et la
canonnade recommencerent. Tout a coup, la jeune Espagnole jeta un cri
de douleur. Elle venait d'etre atteinte d'une balle a la main gauche,
qui lui avait ecrase le pouce et etait entree dans l'epaule de l'homme
mourant qu'elle soutenait. Elle tomba sans connaissance. Voyant le
danger, je voulus la soulever, afin de la conduire en lieu de surete,
ou etaient les bagages, sa voiture et les ambulances. Mais, avec le
seul bras que j'avais de libre, je n'en eus pas la force. Fort
heureusement, un cuirassier qui etait demonte vint a passer pres de
nous. Il ne se fit pas prier. Il me dit seulement: "Vite!
depechons-nous, car ici il ne fait pas bon!" En effet les boulets nous
sifflaient aux oreilles. Sans plus de facon, il enleva la jeune
Espagnole et la transporta comme une enfant que l'on porte. Elle etait
toujours sans connaissance. Apres dix minutes de marche, nous
arrivames pres d'un petit bois ou etait l'ambulance de l'artillerie de
la Garde. La, Florencia reprit ses sens.
"M. Larrey, le chirurgien de l'Empereur, lui fit l'amputation de son
pouce, et a moi il m'extirpa fort adroitement la balle que j'avais
dans le bras, et a present je me trouve assez bien."
Voila ce que me raconta l'enfant de Conde, Dumont, caporal des
voltigeurs du 61e de ligne. Je lui fis promettre de venir me voir a
Moscou, si toutefois nous y restions; mais plus jamais je n'ai entendu
parler de lui.
Ainsi perirent douze jeunes gens de Conde, dans la memorable bataille
de la Moskowa, le 7 sept
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