n etait pres d'une grande capitale.
Le lendemain 14, nous partimes de grand matin; nous passames pres d'un
ravin ou les Russes avaient commence des redoutes pour s'y defendre.
Un instant apres, nous entrames dans une grande foret de sapins et de
bouleaux, ou se trouve une route tres large (route royale). Nous
n'etions plus loin de Moscou.
Ce jour-la, j'etais d'avant-garde avec quinze hommes. Apres une heure
de marche, la colonne imperiale fit halte. Dans ce moment, j'apercus
un militaire de la ligne ayant le bras gauche en echarpe. Il etait
appuye sur son fusil et semblait attendre quelqu'un. Je le reconnus de
suite pour un des enfants de Conde dont j'avais recu la visite pres de
Witebsk. Il etait la, esperant me voir. Je m'approchai de lui en lui
demandant comment se portaient les amis: "Tres bien, me repondit-il,
en frappant la terre de la crosse de son fusil. Ils sont tous morts,
comme on dit, au champ d'honneur, et enterres dans la grande redoute.
Ils ont tous ete tues par la mitraille, en battant la charge. Ah! mon
sergent, continua-t-il, jamais je n'oublierai cette bataille! Quelle
boucherie!--Et, vous, lui dis-je, qu'avez-vous?--Ah bah! rien, une
balle entre le coude et l'epaule! Asseyons-nous un instant, nous
causerons de nos pauvres camarades et de la jeune Espagnole, notre
cantiniere."
Voici ce qu'il me raconta:
"Depuis sept heures du matin nous nous battions, lorsque le general
Campans, qui nous commandait, fut blesse. Celui qu'on envoya pour le
remplacer le fut aussi; ainsi d'un troisieme. Un quatrieme arrive: il
venait de la Garde. Aussitot, il prit le commandement et fit battre la
charge. C'est la que notre regiment, le 61e acheva d'etre abime par la
mitraille. C'est la aussi que les amis furent tues, la redoute prise
et le general blesse. C'etait le general Anabert. Pendant l'action,
j'avais recu une balle dans les bras, sans m'en apercevoir.
"Un instant apres, ma blessure me faisant souffrir, je me retirai pour
aller a l'ambulance me faire extraire la balle. Je n'avais pas fait
cent pas que je rencontrai la jeune Espagnole, notre cantiniere. Elle
etait tout en pleurs; des blesses venaient de lui apprendre que
presque tous les tambours du regiment etaient tues ou blesses. Elle me
dit qu'elle voulait les voir, afin de les secourir. Malgre ma blessure
qui me faisait souffrir, je me decidai a l'accompagner. Nous avancames
au milieu des blesses qui se retiraient peniblement, et d'autres que
l'on po
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