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faisant mine de le frapper le premier: le voyant bien equipe, galonne,
il le prenait peut-etre pour un general. Il lui porta un coup de sa
fourche que, fort heureusement, le tambour-major evita, et, lui ayant
arrache son arme meurtriere, il le prit par les epaules et, d'un grand
coup de pied dans le derriere, il le fit sauter en bas du pont et
rentrer dans les eaux d'ou il etait sorti un instant avant, mais pour
ne plus reparaitre, car, entraine par le courant, on ne le voyait plus
que faiblement et par intervalles; ensuite, on ne le vit plus.
Nous en vimes venir d'autres, qui faisaient feu sur nous avec des
armes chargees; il y en avait meme qui n'avaient que des pierres en
bois a leurs fusils. Comme ils ne blesserent personne, l'on se
contenta de leur arracher leurs armes et de les briser, et, lorsqu'ils
revenaient, l'on s'en debarrassait par un grand coup de crosse de
fusil dans les reins. Une partie de ces armes avaient ete prises dans
l'arsenal qui se trouvait au Kremlin; de la venaient les fusils avec
des pierres en bois, que l'on met toujours, lorsqu'ils sont neufs et
au ratelier. Nous sumes que ces miserables avaient voulu assassiner un
officier de l'etat-major du roi Murat.
Apres avoir passe le pont, nous continuames notre marche dans une
grande et belle rue. Nous fumes etonnes de ne voir personne, pas meme
une dame, pour ecouter notre, musique qui jouait l'air _La victoire
est a nous!_ Nous ne savions a quoi attribuer cette cessation de tout
bruit. Nous nous imaginions que les habitants, n'osant pas se montrer,
nous regardaient par les jalousies de leurs croisees. On voyait
seulement, ca et la, quelques domestiques en livree et quelques
soldats russes.
Apres avoir marche environ une heure, nous nous trouvames pres de la
premiere enceinte du Kremlin. Mais l'on nous fit tourner brusquement a
gauche, et nous entrames dans une rue plus belle et plus large que
celle que nous venions de quitter, et qui conduit sur la place du
Gouvernement. Dans un moment ou la colonne etait arretee, nous vimes
trois dames a une croisee du rez-de-chaussee.
Je me trouvais sur le trottoir et pres d'une de ces dames, qui me
presenta un morceau de pain aussi noir que du charbon et rempli de
longue paille. Je la remerciai et, a mon tour, je lui en presentai un
morceau de blanc que la cantiniere de notre regiment, la mere Dubois,
venait de me donner. La dame se mit a rougir et moi a rire; alors elle
me toucha le bras, je ne sais
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