elle-vue, aux larges et
savoureuses hosties saupoudrees de truffes, portant, comme Louis XIV,
une perruque de laitue fraiche.
Sa situation est bien difficile a Lafouillouze-en-Vexin depuis cette
triste soiree. Tout le monde sait que le diner a eu lieu, et il avait
conte a tout le monde qu'il y etait invite. On commence a le soupconner
d'avoir eu quelque chose de louche dans son passe, d'avoir laisse
echapper quelque hypotheque, par exemple. C'est tout au plus si on le
salue. Plus que jamais, il depasse, en melancolie, les tilleuls roux,
les peupliers jaunis et le vert Gigomard. Voltaire a eu raison de
dire que la superstition avait ete une source effroyable de maux pour
l'humanite.
ANGELIQUE
[Illustration: fig03.png]
ANGELIQUE
C'etait un vrai gentilhomme que le marquis de Libersac, en son marquisat
girondin de vieille souche, authentiquement allie aux plus grandes
familles du Bordelais, mais vivant dans la retraite, pour ce que la
modicite de son bien ne lui eut pas permis de faire bonne figure
parmi ses pairs. Sa seule fortune consistait, en effet, en vignes,
constituant, d'ailleurs, un clos justement renomme, mais de petite
etendue. Il vivait donc uniquement du produit de la vente de son vin, ce
qui rappelle de loin seulement les occupations heroiques des preux et
des croises dont le sang coulait dans ses veines. Mon Dieu! eut-il ete
peut-etre tres capable aussi de tenter, pour sa foi, quelque perilleuse
aventure. Mais, marie jeune, et veuf peu de temps apres, il se devait
a sa fille Angelique, laquelle etait digne, d'ailleurs, de tous les
devouements, meme les plus bourgeois, c'est-a-dire quelquefois les plus
malaises en ce monde. Avec elle, il habitait le vieux manoir de ses
aieux, tres delabre, mais denue de ce pittoresque grandiose qui fait
certaines ruines plus grandes encore que ce qu'elles ont remplace. Le
ciel avait decidement refuse les sublimes coleres de sa foudre a la
tempete, ou toutes les grandeurs de la race du marquis avaient disparu.
Mais Mlle Angelique avait fleuri les murailles nues de mille plantes
grimpantes qui leur faisaient comme un estival vetement, aristoloches,
gobeas, volubilis, capucines, s'enlacant et se perdant au feuillage des
vignes vierges que septembre ensanglantait sous le vol alangui deja
des papillons et des abeilles. Elle-meme etait, d'ailleurs, la poesie
vivante de ce melancolique sejour, en l'epanouissement triomphant de sa
vingtieme annee, tres brune de c
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