ci
reprit, en retirant doucement sa jolie tete en arriere:
--Savez-vous l'idee qui m'est venue, vidame?
--Non, marquise.
--Eh bien! je crois que mon mari n'est pas aussi bete que vous
l'esperez.
--Par exemple!
--Cette facon de vous detourner de venir ici, vous son meilleur ami,
sous pretexte que cette amitie vous compromet, ne me parait pas sans une
arriere-pensee.
--Laquelle, madame?
--Celle que vous m'aimez.
--Oh! si purement!
--Soit, mais enfin, vous m'aimez. Au moins, me le dites-vous.
--Je vous le jure. Sans espoir, mais de toute mon ame.
--Vous savez que les deux grands-peres guillotines de mon mari etaient
des gens eleves a l'ecole de Voltaire. Le marquis est sceptique et ne
croit pas volontiers a la vertu des femmes.
--Plut au ciel qu'il eut raison!
--Moi, je suis convaincue qu'il suit de pres la cour que vous me faites.
--Dites tout de suite qu'il me moucharde. Lui, un gentilhomme! un
Gaspard des Etoupettes, dont les ancetres ont combattu aux croisades!
Ah! ce serait vil et mesquin. S'il en etait ainsi, marquise, je n'aurais
plus aucun remords. Oui, je veux croire cela. Vengeons-nous, madame, de
la mauvaise opinion qu'il a gratuitement de nous!
--Ursule, montez les lampes! fit impetueusement la marquise a la
cantonade.
Aucune fenetre ne s'eclaire cependant a la facade melancolique du
vieux chateau vendeen. Les dernieres blancheurs roses du soir se sont
evanouies aux aretes, amorties par le temps, de la vieille maison
seigneuriale. La lune se leve dans le ciel et descend dans l'etang,
mettant une buee d'argent dans l'air et sur la surface de l'eau. Les
grands arbres depouilles tracent des hieroglyphes noirs sur le gris
legerement ardoise du ciel ou sont ecrites, par les destins impatients,
les menaces de l'hiver. On dirait une immense toile d'araignee dans
l'espace, ou se prennent, une a une, les etoiles, comme des mouches
d'or. La sombre masse de pierre semble rever dans le paysage et, sur
les clochetons de ses tourelles, les girouettes gemissent dans le vent,
tandis que les saules aux lanieres nues fouettent legerement la rive aux
gazons chauves. Toutes les betes sont rentrees et, tapies sous le froid
qui les poursuit, tentent de dormir en attendant le pale soleil qui
ne les rechauffera guere. Comme il doit faire meilleur dans le salon
fleurdelise, aux ecussons rajeunis par la Restauration, aux meubles
revetus de ramages surannes!
[Illustration: fig19.png]
L'ame roug
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