voyais berner par cette jolie
drolesse qui me gardait toutes ses faveurs. J'en etais, a la fois,
flatte et humilie, car il lui avait fait la cour bien avant moi. J'avais
precisement dans ma poche un billet d'elle, un rendez-vous pour dix
heures. Charmant, ce billet, et plein de promesses, mais empoisonne par
mon amitie. Elle y blaguait encore ce malheureux Peyrolade. Ah! que les
femmes sont peu genereuses quand elles n'aiment pas!
Il n'est pas d'heure plus lente a venir que celle dite du Berger. Je me
l'imagine trainant, apres soi, un troupeau d'impatiences et de doutes
sur un chemin tres montant, vers une etoile qui va toujours s'enfoncant
plus profondement dans l'azur. Ce que le temps me devait paraitre long
jusqu'a dix heures! Une circonstance insignifiante en apparence en
compliquait encore l'emploi. Je n'osai aller, comme tous les jours, le
tuer au cafe ou j'avais mes habitudes. C'etait aussi celui de Peyrolade
et j'avais quelque honte a le rencontrer au moment de lui faire une
crasse. Et puis, j'aurais eu a lui inventer quelque mensonge expliquant
mon depart avant l'heure accoutumee. L'innocent, il etait deja, sans
doute, a m'attendre assis derriere le joli quadrilatere de drap vert
et les cartes appretees pour la manille coutumiere. Demain, j'aurais
certainement a lui donner des explications. Mais mon imposture etait
retardee de quelques heures.
Je me mis donc a arpenter les allees Lafayette--car nous sommes a
Toulouse--le gaz commencant a clignoter dans les rues transversales, des
nappes circulaires de lumiere blanche tombant, par places, sur le sable
estompe de bleu aux contours. Les melancolies du soir descendaient des
feuillages deja frissonnants sous un souffle automnal et, tout au
bout, un carrousel de chevaux de bois tournait aux sons enervants d'un
orchestre barbaresque. La monotonie de ces allees et venues trompant mal
mon impatience, je pris le parti d'entrer dans un simple estaminet qui
avait l'avantage d'etre tres voisin de la demeure de Pasie. J'y
lisais les journaux parmi des inconnus. Par une fatalite touchant a
l'invraisemblance, c'est Peyrolade que j'y apercus, le premier, tournant
le dos fort heureusement a la porte... plus un ami commun qui me le
montra, pendant que je lui faisais: chut!--Etes-vous donc brouille avec
lui? me demanda-t-il.--Non! fus-je oblige de lui repondre, mais je ne
veux pas qu'il me voie ici. Puis, n'osant sortir, de crainte de le faire
retourner, je me renfrognai dans
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