ar elle avait fort bien apercu, dans le mysterieux enlacement des
taillis, l'auteur de cette malencontreuse symphonie en plein vent, si
j'ose m'exprimer ainsi.
Quel redoublement de fureur n'eut-elle donc pas quand, au banquet
d'honneur qui suivit la visite du musee, elle vit que son mari avait
precisement mis a sa gauche, a elle, ce musical Ledodu. Le repas fut
magnifique et elle sut contenir son courroux pendant toute sa duree,
pleine d'hypocrites attentions et d'ironiques soins pour son cruel
voisin.
Au dessert, M. le Prefet se leva et porta un toast a l'avenement des
couches nouvelles, proclamant que la bourgeoisie contemporaine depassait
deja, de cent coudees, par l'urbanite, le bon ton et la distinction des
manieres, celle des preux et les rejetons des croises, ce qui promettait
pour la bourgeoisie a venir.
--Ce que dit votre mari est infiniment juste, affirma M. Ledodu, en se
penchant vers Mme la Prefete, avec son plus gracieux sourire. Ainsi, moi
qui vous parle, Madame, auriez-vous jamais devine que mon pere etait
boucher?
--Ca, non! Monsieur, repondit avec conviction Mme la Prefete.
PASIE
[Illustration: fig38.png]
PASIE
Pour Aspasie, vraisemblablement, et croyez bien que ce n'etait pas son
vrai nom. J'ai su, depuis, qu'elle s'appelait Sidonie Lascoumette. Elle
portait un front perdu dans le bouillonnement fauve de ses cheveux;
des coulees d'or traversaient ses yeux bruns; le nez droit et toujours
fremissant aux narines, n'avait aucune des irregularites charmantes qui
impliquent la bonte; un peu charnues, les levres s'ouvraient sur de
petites dents blanches et coupantes; une fossette trouait le menton
cesarien que soutenait un cou un peu large s'epanouissant, sans
brisures, aux epaules. Par prudence, arreterai-je la son signalement.
Au moral, elle etait tout a fait depourvue d'esprit. Qu'en avait-elle,
d'ailleurs, besoin? Avec un peu de genie seulement, une telle femme eut
bouleverse le monde. Mais elle n'avait pas plus de genie que d'esprit.
Bete comme une oie, alors? Vous exagerez sensiblement. On ne s'ennuyait
pas avec elle. C'est l'essentiel, n'est-ce pas? Il est vrai qu'on
ne s'ennuie pas non plus avec une oie quand elle est tendre et
ingenieusement farcie par un cuisinier consciencieux. J'en etais, pour
ma part, tres amoureux, et n'eprouvais a cela qu'un petit ennui, celui
de contrarier beaucoup mon camarade Peyrolade, qui n'en etait pas moins
amoureux que moi, et qu'a regret je
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