du regiment. Il fallait, a tout ce monde et sur l'heure, des chaussures
a bout carre, ces fameuses bottes d'ordonnance dont la forme est
invariable depuis les guerres de Napoleon. Mais le maitre-bottier etait
surcharge de besogne. Impossible de satisfaire personne. Il faudrait au
moins quinze jours pour executer la commande sur mesure. "--Au moins,
en avez-vous d'occasion?" demanda le choeur avec angoisse. "--Peut-etre
oui! J'ai, je crois, la, quelques douzaines de paires ayant deja un peu
servi, repondit l'eminent savetier: mais elles ne sont pas a moi. Je
me suis charge simplement de les vendre par complaisance. Je crains,
d'ailleurs, que ce ne soit un peu cher pour vous." "--Nous vous les
prenons a n'importe quel prix!" repliquerent les malheureux. Et l'infame
bottier nous fit payer vingt francs piece une marchandise qui n'en etait
plus depuis longtemps a l'emotion inseparable des premiers debuts. Si
bien que, le soir meme, il n'y avait plus un officier dans le regiment
d'artillerie dont les pieds ne fussent enfouis dans d'horribles bottes
quadrangulaires. Le lendemain, le colonel, qui avait son idee, passa
une revue de detail. Il eut un epanouissement de visage en voyant cet
affreux spectacle, et soufflant, comme il avait toujours soin de le
faire avant de parler, dans la paille argentee de sa moustache, il nous
dit, une main tournee derriere le dos: "Enfants, je suis content de
vous!"
Dans l'apres-midi, ce ne fut pas sans un certain embarras que nous
fimes, en sortant du cafe, la petite promenade accoutumee, jusqu'au
mail, ou les dames commencaient leur promenade, en longeant, pour s'y
rendre, les boutiques ou de jolies filles se montraient aux vitrines
des que passait un uniforme. C'est en groupes de deux ou trois que nous
marchions, nous suivant un peu par grades, une cigarette aux levres,
donnant quelque chose de contraint et de mysterieux aux sourires de
reconnaissance. Les maris etaient encore qui a l'audience qui a leur
comptoir, qui a l'etude ou a la caisse et c'etait un moment delicieux
vraiment, sous les grands arbres ou l'on se rencontrait surement, par
simple intuition de sympathie et sans s'etre donne rendez-vous.
Ce jour-la, ce fut positivement un desastre.
Ces dames et ces demoiselles aussi, par habitude, passaient leur revue
de detail. A peine arrivees aux pieds, nous les voyions surprises
d'abord, puis etouffant, dans la dentelle de leurs mouchoirs, des
sourires absolument impertinents. Et plu
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