[Illustration: fig23.png]
AMANY
Sous le ciel, rose et clair comme une aile d'ibis,
Sur Marseille ou descend deja la Nuit future,
La Mediterranee a ferme sa ceinture
Aux anneaux d'or, de malachite et de rubis.
A ses pieds, sur le sol laissant choir ses habits,
Celle qui fait ma joie et qui fait ma torture
En reve, de ses bras, a mon cou qu'il capture,
Affermit le joug doux et fort que je subis.
Sur la terre ou l'exil poussa la Phenicie,
A la gloire de Tyr, sous mon front s'associe
L'eclat jeune et vivant de sa fiere beaute.
C'est qu'a travers les temps et pour leur lent hommage
De la Femme est restee une immortelle image
Ou des flambeaux eteints demeure la clarte.
Ainsi pensais-je a l'absente, avec quelque melancolie, il y a un an, a
peu pres, par un de ces soirs admirables de juillet qui criblent la nue
de fleches d'or, devant la Mediterranee devenue comme un immense et
sombre lapis-lazuli aux cassures lumineuses, dans le brouhaha de
la Cannebiere ou de belles filles passaient sous l'orgueil de leur
chevelure noire et de leur sang latin. Devant moi, la foret des matures
immobiles semblait une embuscade d'ombre, une embuscade de soldats armes
de hautes lances; et la mer semblait faire flotter, sur la blancheur
des collines crayeuses, comme une image lointaine de la voie lactee.
Au-dessus des bavardages humains, des bourdonnements de phalenes
mettaient comme un bruissement de velours, et des souffles chauds
un frisson dans les platanes poudreux. Les voiles triangulaires
dessinaient, sur le vague des horizons, les images de coeurs tres
sombres pendus a un invisible etal pour quelque mysterieux supplice.
Toute cette joie du dehors qui riait et chantait aux levres des amoureux
m'enveloppait d'une indicible et interieure tristesse. En de jalouses
angoisses et en des regrets superflus, je laissais s'en aller mon ame
aux pieds de celle que j'avais quittee la veille et qui, sans doute, ne
pensait guere a moi.
En ces dispositions moroses, je m'assis a la terrasse d'un de ces cafes
magnifiques avec le souvenir desquels Paul Arene ne manque jamais
d'humilier nos estaminets parisiens. Le fait est qu'on s'y croirait aux
pieds d'une Babel tant s'y croise la variete des langages, tant s'y
coudoie la variete des costumes, tant l'illusion d'un Orient tout proche
y defie les ridicules prejuges de la geographie. Tout en continuant de
rever, j'ecoutais, malgre moi, ce murmure de ruche et,
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