e venue avec moi, dans ce coin isole du
grand parc ou les allees couraient entre les carmins rouilles des
ronces toutes tachees de mures, tres loin deja du vieux castel dont les
mechants rires ne venaient plus jusqu'a nous? Mon Dieu! tout simplement,
sans doute, en marchant devant soi dans le sable qui craquait
musicalement sous ses bottines, en causant de ceci ou de cela, de tout,
hormis de ce que j'avais dans l'ame et qui en avait chasse tout le
reste. Imaginez, autour de nous, toutes les seductions perfides des
choses, toutes les persuasions amoureuses de la nature: le chant d'une
source soulevant les cailloux de son bouillonnement; le frolement des
joncs vibrant comme des lyres sous le vent nocturne; le vol attarde des
phalenes traversant le silence du sonore velours de leurs ailes;
de beaux rayons de lune se brisant en poussiere d'argent dans les
feuillages; toutes les harmonies des sons mourant dans l'espace et des
couleurs se transformant en des reflets d'apotheose, dans des vapeurs
d'amethyste transparentes. Non, vraiment, rien ne manquait au decor
d'une idylle entouree de toutes les poesies, pas meme la tertre de
gazon, comme dans les tableaux suggestifs de Fragonard, que baignait au
pied une clarte douce, tandis que le sommet se recueillait dans l'ombre,
tamise par les arbres comme sous l'exquis enveloppement de rideaux de
gaze.
Et elle etait la tout pres de moi, la gorge demi-nue sous son mouchoir
denouee, les cheveux trainant sur le cou, resumant dans sonetre lasse
toutes les senteurs divines du jour evanoui, ce sublime alanguissement
de toutes les choses avant le sommeil.
[Illustration: fig22.png]
Mais la legende etait la, l'inexorable legende d'impeccabilite.
--Ah! madame, m'ecriai-je, accable par l'ironie de ces splendeurs,
quelle heure de vivre avec une moins vertueuse que vous!
--Et avec un moins sot que vous!
Me repondit-elle en me jetant un regard dont je n'oublierai jamais la
cruaute blessee. Et elle disparut, etouffant un petit rire dont j'etais
dechire, comme d'un couteau, sous l'epaisseur des frondaisons, par
quelque oblique sentier ou les ronces m'auraient empeche de la
poursuivre, dans un effacement de toutes ces caresses de la Nature dont
j'etais grise un instant auparavant, me laissant dans un paysage vide
soudain et dont les etoiles memes semblaient s'etre envolees.
Suis-je gueri, pour cela, de croire a la vertu des femmes?
En toute humilite, j'avouerai que non.
AMANY
|