notre fortune nous ferons celle des gens
qui nous entourent; n'est-ce pas quelque chose, cela?
Elle s'etait rapprochee de lui a mesure qu'il avancait dans ses
explications, et lui avait pris la main; quand il se tut, elle se haussa
et lui passant un bras autour des epaules elle l'embrassa:
--Tu me pardonnes? dit-elle.
--Te pardonner? Que veux-tu que je te pardonne? demanda-t-il en la
regardant tout surpris.
--Si je te le disais, tu ne me pardonnerais pas.
--Alors?
--Donne-moi l'absolution quand meme.
--Tu ne voulais pas habiter Ourteau?
--Donne-moi l'absolution.
--Je te la donne.
--Maintenant sois tranquille, je te promets que ce sera maman elle-meme
qui te demandera a rester ici.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE
I
Fidele a sa promesse, Anie avait amene sa mere a demander elle-meme de
ne pas vendre le chateau.
Dans le monde qui se respecte on passe maintenant la plus grande partie
de l'annee a la campagne, et l'on ne quitte ses terres qu'au printemps,
quand Paris est dans la splendeur de sa saison comme Londres. Pourquoi
ne pas se conformer a cet usage qui pour eux n'avait que des avantages?
Rester a Paris, n'est-ce pas se condamner a continuer d'anciennes
habitudes qui n'etaient plus en rapport avec leur nouvelle position, et
des relations qui, n'ayant jamais eu rien d'agreable, deviendraient tout
a fait genantes? Acceptables rue de l'Abreuvoir, certaines visites
seraient plus qu'embarrassantes boulevard Haussmann.
Ces raisons, exposees une a une avec prudence, avaient convaincu madame
Barincq, qui, apres un premier mouvement de revolte, commencait
d'ailleurs a se dire, et sans aucune suggestion, que la vie de chateau
avait des agrements: d'autant plus chic de se faire conduire a la messe
en landau que l'eglise etait a deux pas du chateau, plus chic encore de
troner a l'eglise dans le banc d'honneur; tres amusant de pouvoir
envoyer a ses amis de Paris un saumon de sa pecherie, un gigot de ses
agneaux de lait, des artichauts de son potager, des fleurs de ses
serres. Si, au temps de sa plus grande detresse, elle s'etait toujours
ingeniee a trouver le moyen de faire autour d'elle de petits cadeaux: un
oeuf de ses poules, des violettes, une branche de lilas de son jardinet,
un ouvrage de femme, qui temoignaient de son besoin de donner;
maintenant qu'elle n'avait qu'a prendre autour d'elle, elle pouvait se
faire des surprises a elle-meme qui la flattaient e
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