ans la succession des valeurs qu'on peut vendre pour les frais
de premier etablissement, qui, d'ailleurs, ne sont pas considerables:
trois cents vaches a 450 francs l'une coutent 135,000 francs; les
constructions de la laiterie et de la porcherie, ainsi que
l'appropriation des etables, n'absorberont pas soixante mille francs,
les defrichements cinquante mille; mettons cinquante mille pour
l'imprevu, nous arrivons a deux cent quarante-cinq mille francs,
c'est-a-dire a peu pres le revenu que ces ameliorations, ces revolutions
si tu veux, nous donneront. Crois-tu que cela vaille la peine de les
entreprendre? Le crois-tu?
Elle avait si souvent vu son pere jongler avec les chiffres qu'elle
n'osait repondre, cependant elle etait troublee...
--Certainement, dit-elle enfin, si tu es sur de tes chiffres, ils sont
tentants.
--J'en suis sur; il n'est pas un detail qui ait ete laisse de cote:
depenses, produits, tout a ete etabli sur des bases solides qui ne
permettent aucun alea; les depenses forcees, les produits abaisses,
plutot que grossis. Mais ce n'est pas seulement pour nous que ces
chiffres sont tentants comme tu dis; ils peuvent aussi le devenir pour
ceux qui nous entourent, pour les gens de ce pays; et c'est a eux que je
pensais en parlant tout a l'heure des devoirs des riches. Jusqu'a
present nos paysans n'ont tire qu'un mediocre produit du lait de leurs
vaches; aussitot que mes machines fonctionneront et que mes debouches
seront assures, je leur acheterai celui qu'ils pourront me vendre et le
paierai sans faire aucun benefice sur eux. Ainsi je verserai dans le
pays deux cents, trois cent mille francs par an, qui non seulement
seront une source de bien-etre pour tout le monde, mais encore qui peu a
peu changeront les vieilles methodes de culture en usage ici. Sur notre
route depuis Puyoo tu as rencontre a chaque instant des champs de
bruyeres et de fougeres, d'ajoncs, c'est ce qu'on appelle des _touyas_,
et on les conserve ainsi a l'etat sauvage pour couper ces bruyeres et en
faire un engrais plus que mediocre. Quand le nombre des vaches aura
augmente par le seul fait de mes achats de lait, la quantite de fumiers
produite augmentera en proportion, et en proportion aussi les touyas
diminueront d'etendue; on les mettra en culture parce qu'on pourra les
fumer; de sorte qu'en enrichissant d'abord le petit paysan je ne
tarderai pas a enrichir le pays lui-meme. Tu vois la transformation et
tu comprends comment en faisant
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