es Ormes fut appele a Paris pour une affaire
importante; il aurait desire y aller seul, mais sa femme voulut
absolument l'accompagner, disant qu'elle avait a faire des emplettes
indispensables; elle se rendit en toute hate chez sa belle-soeur de
Cemiane pour lui annoncer son depart.
MADAME DE CEMIANE
--Et Christine, l'emmenez-vous?
MADAME DES ORMES
--Certainement non; que voulez-vous que j'en fasse pendant mes courses,
mes emplettes? Je n'emmene que ma femme de chambre et un domestique.
MADAME DE CEMIANE
--Que deviendra donc, Christine?
MADAME DES ORMES
--D'abord, mon absence durera a peine quinze jours; elle restera avec sa
bonne, qui n'a pas autre chose a faire qu'a la soigner.
MADAME DE CEMIANE
--Il me semble que Christine la craint beaucoup; ne pensez-vous pas
qu'elle soit trop severe?
MADAME DES ORMES
--Pas du tout! Elle est ferme, mais tres bonne. Christine a besoin
d'etre menee un peu severement; elle est raisonneuse, impertinente meme,
et toujours prete a resister.
MADAME DE CEMIANE
--Je ne l'aurais pas cru! elle parait si douce, si obeissante! Je la
ferai venir souvent chez moi pendant votre absence, n'est-ce pas?
MADAME DES ORMES
--Tant que vous voudrez, ma chere; faites comme vous voudrez et tout ce
que vous voudrez, pourvu qu'elle reste etablie aux Ormes avec sa bonne.
Adieu, je me sauve, je pars demain, et j'ai tant a faire!
Mme des Ormes rentra, s'occupa de ses paquets, recommanda a Mina de
mener souvent Christine chez sa tante de Cemiane, et partit le lendemain
de bonne heure.
Cette absence devait etre de quinze jours; elle se prolongea de mois en
mois pendant deux ans, a cause d'un voyage a la Martinique que dut faire
M. des Ormes, qui avait place la une grande partie de sa fortune. Mme
des Ormes voulut a toute force l'accompagner, car elle aimait tout ce
qui etait nouveau, extraordinaire, et surtout les voyages. Pendant ces
deux ans, les Cemiane et M. de Nance ne quitterent pas la campagne,
heureusement pour Christine, qui voyait sans cesse Gabrielle, Bernard et
leur ami Francois. Christine concut une amitie tres vive pour Francois
dont la bonte et la complaisance la touchaient et lui donnaient le desir
de l'imiter. Elle allait souvent passer des mois entiers chez sa tante,
qui avait pitie de son abandon. Mina etait hypocrite aussi bien que
mechante, de sorte qu'elle sut se contenir en presence des etrangers, et
que personne ne devina combien la pauvre Christin
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