inspire une haine profonde. Avec des lumieres, des talens, Brissot
produisait beaucoup d'effet; mais il n'avait ni assez de consideration
personnelle, ni assez d'habilete pour etre le chef du parti, et la haine
de Robespierre le grandissait en lui imputant ce role. Lorsqu'a la veille
de l'insurrection, les girondins ecrivirent une lettre a Bose, peintre du
roi, le bruit d'un traite se repandit, et on pretendit que Brissot, charge
d'or, allait partir pour Londres. Il n'en etait rien; mais Marat, a qui
les bruits les plus insignifians, ou meme les mieux dementis, suffisaient
pour etablir ses accusations, n'en avait pas moins lance un mandat d'arret
contre Brissot, lors de l'emprisonnement general des pretendus
conspirateurs du 10 aout. Une grande rumeur s'en etait suivie, et le
mandat d'arret ne fut pas execute. Mais les jacobins n'en disaient pas
moins que Brissot etait vendu a Brunswick; Robespierre le repetait et le
croyait, tant sa fausse intelligence etait portee a croire coupables ceux
qu'il haissait. Louvet lui avait inspire tout autant de haine, en se
faisant le second de Brissot aux Jacobins et dans le journal _la
Sentinelle_. Louvet, plein de talent et de hardiesse, s'attaquait
directement aux hommes. Ses personnalites virulentes, reproduites chaque
jour par la voie d'un journal, en avaient fait l'ennemi le plus dangereux
et le plus deteste du parti Robespierre.
Le ministre Roland avait deplu a tout le parti jacobin et municipal par sa
courageuse lettre du 3 septembre, et par sa resistance aux empietemens
de la commune; mais n'ayant rivalise avec aucun individu, il n'inspirait
qu'une colere d'opinion. Il n'avait offense personnellement que Danton, en
lui resistant dans le conseil, ce qui etait peu dangereux, car de tous les
hommes il n'y en avait pas dont le ressentiment fut moins a craindre que
celui de Danton. Mais dans la personne de Roland c'etait principalement sa
femme qu'on detestait, sa femme, fiere, severe, courageuse, spirituelle,
reunissant autour d'elle ces girondins si cultives, si brillans, les
animant de ses regards, les recompensant de son estime, et conservant dans
son cercle, avec la simplicite republicaine, une politesse odieuse a des
hommes obscurs et grossiers. Deja ils s'efforcaient de repandre contre
Roland un bas ridicule. Sa femme, disaient-ils, gouvernait pour lui,
dirigeait ses amis, les recompensait meme de ses faveurs. Dans son ignoble
langage, Marat l'appelait _la Circe_ du parti.
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