Les sentimens des cantons etaient tres partages a notre egard. Toutes les
republiques aristocratiques condamnaient notre revolution. Berne surtout,
et son avoyer Stinger, la detestaient profondement, et d'autant plus que
le pays de Vaud, si opprime, la cherissait davantage. L'aristocratie
helvetique, excitee par l'avoyer Stinger et par l'ambassadeur anglais,
demandait la guerre contre nous, et faisait valoir le massacre des
gardes-Suisses au 10 aout, le desarmement d'un regiment a Aix, et enfin
l'occupation des gorges du Porentruy, qui dependaient de l'eveche de Bale,
et que Biron avait fait occuper pour fermer le Jura. Le parti modere
l'emporta neanmoins, et on resolut une neutralite armee. Le canton de
Berne, plus irrite et plus defiant, porta un corps d'armee a Nyon, et,
sous le pretexte d'une demande des magistrats de Geneve, placa garnison
dans cette ville. D'apres les anciens traites, Geneve, en cas de guerre
entre la France et la Savoie, ne devait recevoir garnison ni de l'une ni
de l'autre puissance. Notre envoye en sortit aussitot, et le conseil
executif, pousse par Claviere, autrefois exile de Geneve, et jaloux d'y
faire entrer la revolution, ordonna a Montesquiou de faire executer les
traites. De plus, on lui enjoignit de mettre lui-meme garnison dans la
place, c'est-a-dire d'imiter la faute reprochee aux Bernois. Montesquiou
sentait d'abord qu'il n'avait pas actuellement les moyens de prendre
Geneve, et ensuite qu'en rompant la neutralite et en se mettant en guerre
avec la Suisse, on ouvrait l'est de la France, et on decouvrait le flanc
droit de notre defensive. Il resolut d'un cote d'intimider Geneve, tandis
que de l'autre il tacherait de faire entendre raison au conseil executif.
Il demanda donc hautement la sortie des troupes bernoises, et essaya de
persuader au ministere francais qu'on ne pouvait exiger davantage. Son
projet etait, en cas d'extremite, de bombarder Geneve, et de se porter par
une marche hardie sur le canton de Vaud, pour le mettre en revolution.
Geneve consentit a la sortie des troupes bernoises, a condition que
Montesquiou se retirerait a dix lieues, ce qu'il executa sur-le-champ.
Cependant cette concession fut blamee a Paris, et Montesquiou, place a
Carouge, ou l'entouraient les exiles genevois qui voulaient rentrer dans
leur patrie, se trouvait la entre la crainte de brouiller la France avec
la Suisse, et la crainte de desobeir au conseil executif, qui
meconnaissait les vues militaire
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