pas d'ouvrage?
-- Sur rien; j'ai espere qu'en allant tant que j'aurais des
forces, je pouvais me sauver; c'est quand j'ai ete a bout, que je
me suis abandonnee, parce que je ne pouvais plus; si j'avais
faibli une heure plus tot, j'etais perdue."
Elle raconta alors comment elle etait sortie de son evanouissement
sous les lechades de son ane, et comment elle avait ete secourue
par la marchande de chiffons; puis, passant vite sur le temps
pendant lequel elle etait restee chez la Rouquerie, elle en vint a
la rencontre qu'elle avait faite de Rosalie:
"En causant, dit-elle, j'appris que dans vos usines on donne du
travail a tous ceux qui en demandent, et je me decidai a me
presenter; on voulut bien m'envoyer aux cannetieres.
-- Quand vas-tu te remettre en route?"
Elle ne s'attendait pas a cette question qui l'interloqua:
"Mais je ne pense pas a me remettre en route, repondit-elle apres
un moment de reflexion.
-- Et tes parents?
-- Je ne les connais pas; je ne sais pas s'ils sont disposes a me
faire bon accueil, car ils etaient faches avec mon pere. J'allais
pres d'eux, parce que je n'ai personne a qui demander protection,
mais sans savoir s'ils voudraient m'accueillir. Puisque je trouve
a travailler ici, il me semble que le mieux pour moi est de rester
ici. Que deviendrais-je si l'on me repoussait? Assuree de ne pas
mourir de faim, j'ai tres peur de courir de nouvelles aventures.
Je ne m'y exposerais que si j'avais des chances de mon cote.
-- Ces parents se sont-ils jamais occupes de toi?
-- Jamais.
-- Alors ta prudence peut etre avisee; cependant, si tu ne veux
pas courir l'aventure d'aller frapper a une porte qui reste fermee
et te laisse dehors, pourquoi n'ecrirais-tu pas, soit a tes
parents, soit au maire ou au cure de ton village? Ils peuvent
n'etre pas en etat de te recevoir; et alors tu restes ici ou ta
vie est assuree. Mais ils peuvent aussi etre heureux de te
recevoir a bras ouverts; alors tu trouves pres d'eux une
affection, des soins, un soutien qui te manqueront si tu restes
ici; et il faut que tu saches que la vie est difficile pour une
fille de ton age qui est seule au monde, ... triste aussi.
-- Oui, monsieur, bien triste, je le sais, je le sens tous les
jours, et je vous assure que si je trouvais des bras ouverts, je
m'y jetterais avec bonheur; mais s'ils restent aussi fermes pour
moi qu'ils l'ont ete pour mon pere...
-- Tes parents avaient-ils des griefs serieux contre ton pere,
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