parut que sous les votres. Quelquefois encore, par
habitude, par effroi, par remords peut-etre, j'appelais l'image de votre
compagne, mais elle ne me repondait plus; et vous passiez sans cesse
devant mes yeux, comme une revelation de mon destin, comme une prophetie
obeissant a l'ordre de Dieu. Alors je m'abandonnai a ma passion, et je
commencai a souffrir; mais je vous offrais ma douleur en sacrifice. Je
vous voyais eprise de Jacques avec raison; j'estime et je venere cet
homme: pouvais-je desirer lui arracher le bien le plus precieux qu'il
ait au monde? J'aimerais mieux l'assassiner. Longtemps cette idee de
vertu et de devouement a soutenu mon courage; je me disais bien qu'il
serait plus prudent et plus facile de vous fuir que de me taire
eternellement; mais il etait trop tard, je ne le pouvais plus: tout me
semblait supportable plutot que de cesser de vous voir. Il y a huit mois
que je me tais; j'ai supporte heroiquement ce terrible hiver passe a vos
cotes, sans distraction et presque tete a tete, car vous ne pouvez pas
disconvenir que nous faisons deux a nous quatre: Jacques et Sylvia font
un, vous et moi faisons un autre; ils se comprennent en tout, et nous
nous comprenons de meme. Quand nous sommes tous ensemble, nous sommes
comme deux amis qui s'entretiennent de leurs plaisirs et de leurs
peines, et qui se revelent mutuellement ce qu'ils eprouvent et ce qu'ils
sont. Vous et moi nous ne nous racontons rien, nous n'avons qu'une ame,
et nous n'avons pas besoin de nous exprimer ce que nous sentons en
commun. Cette imperieuse et enivrante sympathie dont je m'abreuve en
silence, j'ai pourtant besoin de l'epancher. Ce n'est pas par des mots
que nous pouvons nous comprendre; ils sont inutiles; nos regards et le
battement de nos coeurs se repondent. Mais il faut des embrassements et
des etreintes ardentes a ce feu qui s'allume et s'avive chaque jour de
plus en plus; car tu m'aimes, peut-etre!... Ah! pardonnez-moi, Fernande,
je deviens fou. Adieu, adieu! je partirai demain. Ne me meprisez pas;
j'ai fait ce que j'ai pu, mes forces ne vont pas au dela.
LVI.
DE FERNANDE A OCTAVE.
Octave, Octave, que fais-tu? ou t'egares-tu? Tu es fou, mon ami! Tu es
mon frere; tu l'as jure devant Dieu et devant moi; tu ne peux pas te
parjurer, tu ne peux pas te souiller a ce point, toi que je connais si
noble et si pur. Est-ce que je pourrais t'aimer autrement qu'une soeur
aime son frere? Quelles pensees affreuses harcellent ta pauvre
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