touffant ou nous vivons m'oppresse et me rendra fou. J'ai ete
longtemps heureux aupres de vous. Votre amitie, qui m'irrite et me fait
souffrir aujourd'hui, etait, dans les premiers mois, un baume divin
repandu sur les blessures d'un coeur dechire. J'etais incertain, agite,
plein d'un espoir inconnu, transporte de desirs que je ne savais pas
expliquer, et dont le but me semblait etre l'eternite avec vous. J'etais
si fatigue des choses de la terre, Sylvia m'avait rendu l'amour si
facheux et si rude dans les derniers temps, et ce que j'avais souffert
pour la perdre, la retrouver et la perdre encore, m'avait tellement
brise, que je n'esperais presque plus rien en ce monde, et que je me
sentais dans une disposition a me nourrir de reves et de chimeres. Il
faut que je vous dise toute ma folie; des que je vous vis, je vous
aimai, non d'une amitie paisible et fraternelle, comme je m'en vantais,
mais d'an amour romanesque et enivrant. Je m'abandonnais a ce sentiment
a la fois vif et pur; si j'avais ete repousse et contrarie, peut-etre
serait-il devenu des lors une passion violente; mais vous m'accueillites
avec tant de confiance et d'ingenuite! Jacques ensuite m'appela si
loyalement a partager le bonheur de vous voir tous les jours, que je
m'habituai a vous contempler sans oser vous desirer. Je pensais alors
que cela me suffirait toujours, ou je me disais du moins que le jour ou
ce sentiment me ferait trop souffrir, j'aurais toujours la force de m'en
aller; a present, je me sens plus volontiers la force de mourir.
Ou est-il ce temps ou un baiser sur votre main me rendait si heureux? ou
un regard de vous me restait dans les yeux et dans l'ame pour toute
une nuit? Je me confesse a vous, Fernande, je vous possedais dans mon
sommeil, et cela me suffisait. L'amour encore mal eteint que j'avais eu
pour Sylvia se rallumait de temps en temps, et je donnais le change a
mon coeur, selon les circonstances qui me rapprochaient d'elle ou de
vous plus intimement. Combien de fois j'ai presse dans mes bras un
fantome qui avait vos traits et les siens, et dont la longue chevelure
d'ebene, melee a des flocons de soie doree, reposait eparse sur mon
coeur et sur mes epaules! Dans le delire de ces nuits heureuses, je vous
appelais tour a tour, j'invoquais l'affection de l'une de vous, et il me
semblait vous voir toutes deux descendre du ciel et me donner un baiser
au front; mais insensiblement les traits de Sylvia s'effacerent, et
le fantome ne m'ap
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