precepteur des fils du comte de Dhona. Le precurseur de Voltaire
pressentait-il, dans ce chateau depuis si celebre, l'influence contraire
du genie futur du lieu? Le fait est que Bayle aimait peu les champs,
qu'il n'avait aucun tour reveur dans l'esprit, rien qui le consolat dans
le commerce avec la nature. Plus melancolique que gai de temperament,
mais parce qu'il etait _de petite complexion_, avec de l'agrement et
du badinage dans l'esprit, il n'aimait que les livres, l'etude, la
conversation des lettres et philosophes. Son desir de Paris et de tout
ce qui l'en pourrait rapprocher etait grand. Il a maintes fois exprime
le regret de n'etre pas ne dans une ville capitale, et il confesse dans
sa _Reponse aux Questions d'un Provincial_ qu'il a ete eclaire sur les
ressources de Paris pour avoir senti le prejudice de la privation. Il
quitta donc Coppet pour Rouen dans cette idee de se rapprocher a tout
prix du centre des belles-lettres et de la politesse, et du foyer des
bibliotheques: "J'ai fait comme toutes les grandes armees qui sont sur
pied, pour ou contre la France, elles decampent de partout ou elles
ne trouvent point de fourrages ni de vivres." Precepteur a Rouen et
mecontent encore, precepteur a Paris enfin, mais sans liberte, sans
loisir, introduit aux conferences qui se tenaient chez M. Menage, et
connaissant M. Conrart et quelques autres, mais avec le regret de ses
liens, Bayle accepta, en 1675, une chaire de philosophie a Sedan, et dut
se remettre aux exercices dialectiques qu'il avait un peu negliges pour
les lettres. Pendant toutes ces annees, sa faculte critique ne se
fait jour que par sa correspondance, qui est abondante. Il ne devint
veritablement auteur que par sa _Lettre sur les Cometes_ (1682). Un an
auparavant, sa chaire de philosophie a Sedan avait ete supprimee, et
apres quelque sejour a Paris il s'etait decide a accepter une chaire
de philosophie et d'histoire qu'on fondait pour lui a Rotterdam. Sa
_Critique generale de l'Histoire du Calvinisme du Pere Maimbourg_ parut
cette meme annee 1682, et jusqu'en decembre 1706, epoque de sa mort, sa
carriere, a l'ombre de la statue d'Erasme, ne fut plus marquee que par
des ecrits, des controverses litteraires ou philosophiques; apres ses
disputes de plume avec Jurieu, Le Clerc, Bernard et Jaquelot, apres son
petit demele avec le domestique chatouilleux de la reine Christine, les
plus graves evenements pour lui furent ses demenagements (en 1688 et en
1692), qui l
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