lique des
Lettres_, et toute sa critique usuelle, pratique, incessante. De plus,
quand on a un _art_ a soi, une poesie, comme Voltaire, par exemple, qui
certes est aussi un grand esprit critique, le plus grand, a coup sur,
depuis Bayle, on a un gout decide, qui, quelque souple qu'il soit,
atteint vite ses restrictions. On a son oeuvre propre derriere soi
a l'horizon; on ne perd jamais de vue ce clocher-la. On en fait
involontairement le centre de ses mesures. Voltaire avait de plus son
fanatisme philosophique, sa passion, qui faussait sa critique. Le bon
Bayle n'avait rien de semblable. De passion aucune: l'equilibre meme;
une parfaite idee de la profonde bizarrerie du coeur et de l'esprit
humain, et que tout est possible, et que rien n'est sur. De style, il
en avait sans s'en douter, sans y viser, sans se tourmenter a la
lutte comme Courier, La Bruyere ou Montaigne lui-meme; il en avait
suffisamment, malgre ses longueurs et ses parentheses, grace a ses
expressions charmantes et de source. Il n'avait besoin de se relire que
pour la clarte et la nettete du sens: heureux critique! Enfin il n'avait
pas d'_art_, de _poesie_, par-devers lui. L'excellent Bayle n'a, je
crois, jamais fait un vers francais en sa jeunesse, de meme qu'il n'a
jamais reve aux champs, ce qui n'etait guere de son temps encore, ou
qu'il n'a jamais ete amoureux, passionnement amoureux d'une femme, ce
qui est davantage de tous les temps. Tout son art est critique, et
consiste, pour les ouvrages ou il se deguise, a dispenser mille petites
circonstances, a assortir mille petites adresses afin de mieux divertir
le lecteur et de lui colorer la fiction: il previent lui-meme son frere
de ces artifices ingenieux, a propos de la _Lettre des Cometes_.
Je veux enumerer encore d'autres manques de talents, ou de passions, ou
de dons superieurs, qui ont fait de Bayle le plus accompli critique qui
se soit rencontre dans son genre, rien n'etant venu a la traverse pour
limiter ou troubler le rare developpement de sa faculte principale, de
sa passion unique. Quant a la religion d'abord, il faut bien avouer
qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'etre religieux
avec ferveur et zele en cultivant chez soi cette faculte critique et
discursive, relachee et accommodante. Le metier de critique est comme un
voyage perpetuel avec toutes sortes de personnes et en toutes sortes de
pays, par curiosite. Or, comme on sait,
Rarement a courir le monde
On devient plus
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