homme de bien;
rarement du moins, on devient plus croyant, plus occupe du but
invisible. Il faut dans la piete un grand jeune d'esprit, un
retranchement frequent, meme a l'egard des commerces innocents et
purement agreables, le contraire enfin de se repandre. La facon dont
Bayle etait religieux (et nous croyons qu'il l'etait a un certain degre)
cadrait a merveille avec le genie critique qu'il avait en partage. Bayle
etait religieux, disons-nous, et nous tirons cette conclusion moins de
ce qu'il communiait quatre fois l'an, de ce qu'il assistait aux prieres
publiques et aux sermons, que de plusieurs sentiments de resignation
et de confiance en Dieu, qu'il manifeste dans ses lettres. Quoiqu'il
avertisse quelque part[128] de ne pas trop se fier aux lettres d'un auteur
comme a de bons temoins de ses pensees, plusieurs de celles ou il parle
de la perte de sa place respirent un ton de moderation qui ne semble pas
tenir seulement a une humeur calme, a une philosophie modeste, mais bien
a une soumission mieux fondee et a un veritable esprit de christianisme.
En d'autres endroits voisins des precedents, nous le savons,
l'expression est toute philosophique; mais avec Bayle, pour rester dans
le vrai, il ne convient pas de presser les choses; il faut laisser
coexister a son heure et a son lieu ce qui pour lui ne s'entre-choquait
pas [129]. Nous aimons donc a trouver que le mot de _bon Dieu_ revient
souvent dans ses lettres d'un accent de naivete sincere. Apres cela, la
religion inquiete mediocrement Bayle; il ne se retranche par scrupule
aucun raisonnement qui lui semble juste, aucune lecture qui lui parait
divertissante. Dans une lettre, tout a cote d'une belle phrase
sincere sur la Providence, il mentionnera _Hexameron rustique_ de
La Mothe-Le-Vayer avec ses obscenites: "_Sed omnia sana sanis_."
ajoute-t-il tout aussitot, et le voila satisfait. Si, par impossible,
quelque bel esprit janseniste avait entretenu une correspondance
litteraire, y rencontrerait-on jamais des lignes comme celles qui
suivent? "M. Hermant, docteur de Sorbonne, qui a compose en francois
les Vies de quatre Peres de l'Eglise grecque, vient de publier celle de
saint Ambroise, l'un des Peres de l'Eglise latine. M. Ferrier, bon poete
francois, vient de faire imprimer les _Preceptes galants_: c'est une
espece de traite semblable a l'_Art d'aimer_ d'Ovide." Et quelques
lignes plus bas: "On fait beaucoup de cas de _la Princesse de Cleves_.
Vous avez oui parler s
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