ot
avec tendresse, tantot avec fureur. Il se tordait les mains, dechirait
ses couvertures et s'arrachait presque les cheveux. Jean le regardait
toujours sans rien dire et sans bouger, pret a s'opposer aux actes d'un
delire serieux, mais resolu de n'etre pas dupe d'une de ces scenes de
drame qu'il lui attribuait la faculte de jouer froidement au milieu de
ses malheurs les plus reels.
A mes yeux (et je crois l'avoir connu aussi bien que possible), Horace
n'etait pas, comme le croyait Jean, un froid egoiste. Il est bien vrai
qu'il etait froid; mais il etait passionne aussi. Il est bien vrai qu'il
avait de l'egoisme; mais il avait en meme temps un besoin d'amitie,
de soins et de sympathie qui denotait bien l'amour des semblables. Ce
besoin etait si puissant chez lui, qu'il etait porte jusqu'a l'exigence
puerile, jusqu'a la susceptibilite maladive, jusqu'a la domination
jalouse. L'egoiste vit seul; Horace ne pouvait vivre un quart d'heure
sans societe. Il avait de la personnalite, ce qui est bien different de
l'egoisme. Il aimait les autres par rapport a lui; mais il les aimait,
cela est certain, et on eut pu dire sans trop sophistiquer que, ne
pouvant s'habituer a la solitude, il preferait l'entretien du premier
venu a ses propres pensees, et que, par consequent, il preferait en un
certain sens les autres a lui-meme.
Lorsque Horace avait du chagrin, il n'avait qu'un moyen de s'etourdir,
et ce moyen etait egalement bon pour ramener a lui les coeurs qu'il
avait blesses, et pour dissiper sa propre souffrance: il se fatiguait.
Cette fatigue singuliere, qui agissait sur le moral aussi bien que
sur le physique, consistait a donner a son chagrin un violent essor
exterieur par les paroles, par les larmes, les cris, les sanglots, meme
par les convulsions et le delire. Ce n'etait pas une comedie, comme le
croyait Laraviniere; c'etait une crise vraiment rude et douloureuse dans
laquelle il entrait a volonte. On ne peut pas dire qu'il en sortit de
meme. Elle se prolongeait quelquefois au dela du moment ou il en avait
senti le ridicule ou la fatigue; mais il suffisait d'un tres petit
accident exterieur pour la faire cesser. Un reproche ferme, une menace
de la personne qu'il prenait pour consolateur ou pour victime, l'offre
subite d'un divertissement, une surprise quelconque, une petite
contusion ou une mince ecorchure attrapee en gesticulant ou en se
laissant tomber, c'en etait assez pour le ramener de la plus violente
exaltation a
|