leurs jambes, elles poussaient a la consommation.
Les trois autres dames (elles n'etaient que cinq) formaient une sorte
d'aristocratie, et demeuraient reservees a la compagnie du premier, a
moins pourtant qu'on n'eut besoin d'elles en bas et que le premier fut
vide.
Le salon de Jupiter, ou se reunissaient les bourgeois de l'endroit,
etait tapisse de papier bleu et agremente d'un grand dessin representant
Leda etendue sous un cygne. On parvenait dans ce lieu au moyen d'un
escalier tournant termine par une porte etroite, humble d'apparence,
donnant sur la rue, et au-dessus de laquelle brillait toute la nuit,
derriere un treillage, une petite lanterne comme celles qu'on allume
encore en certaines villes aux pieds des madones encastrees dans les
murs.
Le batiment, humide et vieux, sentait legerement le moisi. Par moments,
un souffle d'eau de Cologne passait dans les couloirs, ou bien une porte
entr'ouverte en bas faisait eclater dans toute la demeure, comme une
explosion de tonnerre, les cris populaciers des hommes attables au
rez-de-chaussee, et mettait sur la figure des messieurs du premier une
moue inquiete et degoutee.
_Madame_, familiere avec les clients ses amis, ne quittait point le
salon, et s'interessait aux rumeurs de la ville qui lui parvenaient par
eux. Sa conversation grave faisait diversion aux propos sans suite des
trois femmes; elle etait comme un repos dans le badinage polisson des
particuliers ventrus qui se livraient chaque soir a cette debauche
honnete et mediocre de boire un verre de liqueur en compagnie de filles
publiques.
Les trois dames du premier s'appelaient Fernande, Raphaele et Rosa la
Rosse.
Le personnel etant restreint, on avait tache que chacune d'elles fut
comme un echantillon, un resume de type feminin, afin que tout
consommateur put trouver la, a peu pres du moins, la realisation de son
ideal.
Fernande representait la _belle blonde_, tres grande, presque obese,
molle, fille des champs dont les taches de rousseur se refusaient a
disparaitre, et dont la chevelure filasse, ecourtee, claire et sans
couleur, pareille a du chanvre peigne, lui couvrait insuffisamment le
crane.
Raphaele, une Marseillaise, roulure des ports de mer, jouait la role
indispensable de la _belle Juive_, maigre, avec des pommettes saillantes
platrees de rouge. Ses cheveux noirs, lustres a la moelle de boeuf,
formaient des crochets sur ses tempes. Ses yeux eussent paru beaux si le
droit n'avait ete marq
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