taient arrives un beau matin prendre la
direction de l'entreprise qui periclitait en l'absence des patrons.
C'etaient de braves gens qui se firent aimer tout de suite de leur
personnel et des voisins.
Monsieur mourut d'un coup de sang deux ans plus tard. Sa nouvelle
profession l'entretenant dans la mollesse et l'immobilite, il etait
devenu tres gros, et la sante l'avait etouffe.
Madame, depuis son veuvage, etait vainement desiree par tous les
habitues de l'etablissement; mais on la disait absolument sage, et ses
pensionnaires elles-memes n'etaient parvenues a rien decouvrir.
Elle etait grande, charnue, avenante. Son teint, pali dans l'obscurite
de ce logis toujours clos, luisait comme sous un vernis gras. Une mince
garniture de cheveux follets, faux et frises, entourait son front, et
lui donnait un aspect juvenile qui jurait avec la maturite de ses
formes. Invariablement gaie et la figure ouverte, elle plaisantait
volontiers, avec une nuance de retenue que ses occupations nouvelles
n'avaient pas encore pu lui faire perdre. Les gros mots la choquaient
toujours un peu; et quand un garcon mal eleve appelait de son nom propre
l'etablissement qu'elle dirigeait, elle se fachait, revoltee. Enfin elle
avait l'ame delicate, et bien que traitant ses femmes en amies, elle
repetait volontiers qu'elles "n'etaient point du meme panier".
Parfois, durant la semaine, elle partait en voiture de louage avec une
fraction de sa troupe; et l'on allait folatrer sur l'herbe au bord de la
petite riviere qui coule dans les fonds de Valmont. C'etaient alors des
parties de pensionnaires echappees, des courses folles, des jeux
enfantins, toute une joie de recluses grisees par le grand air. On
mangeait de la charcuterie sur le gazon en buvant du cidre, et l'on
rentrait a la nuit tombante avec une fatigue delicieuse, un
attendrissement doux; et dans la voiture on embrassait Madame comme une
mere tres bonne, pleine de mansuetude et de complaisance.
La maison avait deux entrees. A l'encoignure, une sorte de cafe borgne
s'ouvrait, le soir, aux gens du peuple et aux matelots. Deux des
personnes chargees du commerce special du lieu etaient particulierement
destinees aux besoins de cette partie de la clientele. Elles servaient,
avec l'aide du garcon, nomme Frederic, un petit blond imberbe et fort
comme un boeuf, les chopines de vin et les canettes sur les tables de
marbre branlantes, et, les bras jetes au cou des buveurs, assises en
travers de
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