es soins. Ils
reussirent; elle revint a elle. J'avais l'air tres emu--je ne suis pas
trop mal, je n'ai pas quarante ans.--Je compris a son premier regard
qu'elle serait polie et reconnaissante. Elle le fut, avec d'autres
larmes, et son histoire contee, sortie par fragments de sa poitrine
haletante, la mort de l'officier tombe au Tonkin, au bout d'un an de
mariage, apres l'avoir epousee par amour, car, orpheline de pere et de
mere, elle avait tout juste la dot reglementaire.
Je la consolai, je la reconfortai, je la soulevai, je la relevai. Puis
je lui dis:
--Ne restez pas ici. Venez.
Elle murmura:
--Je suis incapable de marcher.
--Je vais vous soutenir.
--Merci, monsieur, vous etes bon. Vous veniez egalement ici pleurer un
mort?
--Oui, madame.
--Une morte?
--Oui, madame.
--Votre femme?
--Une amie.
--On peut aimer une amie autant que sa femme, la passion n'a pas de loi.
--Oui, madame.
Et nous voila partis ensemble, elle appuyee sur moi, moi la portant
presque par les chemins du cimetiere. Quand nous en fumes sortis, elle
murmura, defaillante:
--Je crois que je vais me trouver mal.
--Voulez-vous entrer quelque part, prendre quelque chose?
--Oui, monsieur.
J'apercus un restaurant, un de ces restaurants ou les amis des morts
vont feter la corvee finie. Nous y entrames. Et je lui fis boire une
tasse de the bien chaud qui parut la ranimer. Un vague sourire lui vint
aux levres. Et elle me parla d'elle. C'etait si triste, si triste d'etre
toute seule dans la vie, toute seule chez soi, nuit et jour, de n'avoir
plus personne a qui donner de l'affection, de la confiance, de
l'intimite.
Cela avait l'air sincere. C'etait gentil dans sa bouche. Je
m'attendrissais. Elle etait fort jeune, vingt ans peut-etre. Je lui fis
des compliments qu'elle accepta fort bien. Puis, comme l'heure passait,
je lui proposai de la reconduire chez elle avec une voiture. Elle
accepta; et, dans le fiacre, nous restames tellement l'un contre
l'autre, epaule contre epaule, que nos chaleurs se melaient a travers
les vetements, ce qui est bien la chose la plus troublante du monde.
Quand la voiture fut arretee a sa maison, elle murmura: "Je me sens
incapable de monter seule mon escalier, car je demeure au quatrieme.
Vous avez ete si bon, voulez-vous encore me donner le bras jusqu'a mon
logis?"
Je m'empressai d'accepter. Elle monta lentement, en soufflant beaucoup.
Puis, devant sa porte, elle ajouta:
--Entrez
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