r, lui demandant s'il etait beau, s'il
etait grand, s'il etait riche, a quand la noce, a quand le bapteme? Et
elle se sauvait souvent pour pleurer toute seule, car ces questions lui
entraient dans la peau comme des epingles.
Pour se distraire de ces tracasseries, elle se mit a l'ouvrage avec
fureur, et, songeant toujours a son enfant, elle chercha les moyens
d'amasser pour lui beaucoup d'argent.
Elle resolut de travailler si fort qu'on serait oblige d'augmenter ses
gages.
Alors, peu a peu, elle accapara la besogne autour d'elle, fit renvoyer
une servante qui devenait inutile depuis qu'elle peinait autant que
deux, economisa sur le pain, sur l'huile et sur la chandelle, sur le
grain qu'on jetait trop largement aux poules, sur le fourrage des
bestiaux qu'on gaspillait un peu. Elle se montra avare de l'argent du
maitre comme si c'eut ete le sien, et, a force de faire des marches
avantageux, de vendre cher ce qui sortait de la maison et de dejouer les
ruses les paysans qui offraient leurs produits, elle eut seule le soin
des achats et des ventes, la direction du travail des gens de peine, le
compte des provisions; et, en peu de temps, elle devint indispensable.
Elle exercait une telle surveillance autour d'elle, que la ferme, sous
sa direction, prospera prodigieusement. On parlait a deux lieues a la
ronde de la "servante a maitre Vallin"; et le fermier repetait partout:
"Cette fille-la, ca vaut mieux que de l'or."
Cependant, le temps passait et ses gages restaient les memes. On
acceptait son travail force comme une chose due par toute servante
devouee, une simple marque de bonne volonte; et elle commenca a songer
avec un peu d'amertume que si le fermier encaissait, grace a elle,
cinquante ou cent ecus de supplement tous les mois, elle continuait a
gagner ses 240 francs par an, rien de plus, rien de moins.
Elle resolut de reclamer une augmentation. Trois fois elle alla trouver
le maitre et, arrivee devant lui, parla d'autre chose. Elle ressentait
une sorte de pudeur a solliciter de l'argent, comme si c'eut ete une
action un peu honteuse. Enfin, un jour que le fermier dejeunait seul
dans la cuisine, elle lui dit d'un air embarrasse qu'elle desirait lui
parler particulierement. Il leva la tete, surpris, les deux mains sur la
table, tenant de l'une son couteau, la pointe en l'air, et de l'autre
une bouchee de pain, et il regarda fixement sa servante. Elle se troubla
sous son regard et demanda huit jours pour aller au
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