ent comme un phenomene, un etre hors de la nature,
et ils sentaient grandir en eux ce mepris, inexplique jusque-la, de
leurs meres pour la Blanchotte.
Quant a Simon, il s'etait appuye contre un arbre pour ne pas tomber; et
il restait comme atterre par un desastre irreparable. Il cherchait a
s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur repondre, et
dementir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfin, livide,
il leur cria a tout hasard:--"Si, j'en ai un."
--Ou est-il? demanda le gars.
Simon se tut; il ne savait pas. Les enfants riaient, tres excites; et
ces fils des champs, plus proches des betes, eprouvaient ce besoin cruel
qui pousse les poules d'une basse-cour a achever l'une d'entre elles
aussitot qu'elle est blessee. Simon avisa tout a coup un petit voisin,
le fils d'une veuve, qu'il avait toujours vu, comme lui-meme, tout seul
avec sa mere.
--Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.
--Si, repondit l'autre, j'en ai un.
--Ou est-il? riposta Simon.
--Il est mort, declara l'enfant avec une fierte superbe, il est au
cimetiere, mon papa.
Un murmure d'approbation courut parmi les garnements, comme si ce fait
d'avoir son pere mort au cimetiere eut grandi leur camarade pour ecraser
cet autre qui n'en avait point du tout. Et ces polissons, dont les peres
etaient, pour la plupart, mechants, ivrognes, voleurs et durs a leurs
femmes, se bousculaient en se serrant de plus en plus, comme si eux, les
legitimes, eussent voulu etouffer dans une pression celui qui etait hors
la loi.
L'un, tout a coup, qui se trouvait contre Simon, lui tira la langue d'un
air narquois et lui cria:
--Pas de papa! pas de papa!
Simon le saisit a deux mains aux cheveux et se mit a lui cribler les
jambes de coups de pied, pendant qu'il lui mordait la joue cruellement.
Il se fit une bousculade enorme. Les deux combattants furent separes, et
Simon se trouva frappe, dechire, meurtri, roule par terre, au milieu du
cercle des galopins qui applaudissaient. Comme il se relevait, en
nettoyant machinalement avec sa main sa petite blouse toute sale de
poussiere, quelqu'un lui cria:
--Va le dire a ton papa.
Alors il sentit dans son coeur un grand ecroulement. Ils etaient plus
forts que lui, ils l'avaient battu, et il ne pouvait point leur
repondre, car il sentait bien que c'etait vrai qu'il n'avait pas de
papa. Plein d'orgueil, il essaya pendant quelques secondes de lutter
contre les larmes qui l'etranglaient. I
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