ils se regardaient
parfois au fond des yeux.
Le patron cria:--"Allons, monsieur Paul, depechez-vous." Et ils
s'approcherent.
De tous les clients de la maison, M. Paul etait le plus aime et le plus
respecte. Il payait bien et regulierement, tandis que les autres se
faisaient longtemps tirer l'oreille, a moins qu'ils ne disparussent,
insolvables. Puis il constituait pour l'etablissement une sorte de
reclame vivante, car son pere etait senateur. Et quand un etranger
demandait:--"Qui est-ce donc ce petit-la, qui en tient si fort pour sa
donzelle?" quelque habitue repondait a mi-voix, d'un air important et
mysterieux:--"C'est Paul Baron, vous savez? le fils du senateur."--Et
l'autre, invariablement, ne pouvait s'empecher de dire:--"Le pauvre
diable! Il n'est pas a moitie pince."
La mere Grillon, une brave femme, entendue au commerce, appelait le
jeune homme et sa compagne: "ses deux tourtereaux", et semblait tout
attendrie par cet amour avantageux pour sa maison.
Le couple s'en venait a petits pas; la yole _Madeleine_ etait prete;
mais, au moment de monter dedans, ils s'embrasserent, ce qui fit rire le
public amasse sur le pont. Et M. Paul, prenant ses rames, partit aussi
pour la Grenouillere.
Quand ils arriverent, il allait etre trois heures, et le grand cafe
flottant regorgeait de monde.
L'immense radeau, couvert d'un toit goudronne que supportent des
colonnes de bois, est relie a l'ile charmante de Croissy par deux
passerelles dont l'une penetre au milieu de cet etablissement aquatique,
tandis que l'autre en fait communiquer l'extremite avec un ilot
minuscule plante d'un arbre et surnomme le "Pot-a-Fleurs", et, de la,
gagne la terre aupres du bureau des bains.
M. Paul attacha son embarcation le long de l'etablissement, il escalada
la balustrade du cafe, puis, prenant les mains de sa maitresse, il
l'enleva, et tous deux s'assirent au bout d'une table, face a face.
De l'autre cote du fleuve, sur le chemin de halage, une longue file
d'equipages s'alignait. Les fiacres alternaient avec de fines voitures
de gommeux: les uns lourds, au ventre enorme ecrasant les ressorts,
atteles d'une rosse au cou tombant, aux genoux casses; les autres
sveltes, elancees sur des roues minces, avec des chevaux aux jambes
greles et tendues, au cou dresse, au mors neigeux d'ecume, tandis que le
cocher, gourme dans sa livree, la tete raide en son grand col, demeurait
les reins inflexibles et le fouet sur un genou.
La berge etai
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