de sa voix aigrelette et fausse quelque chose qui courait les
rues, un air trainant dans les memoires, qui dechira brusquement la
profonde et sereine harmonie du soir.
Alors il la regarda, et il sentit entre eux un infranchissable abime.
Elle battait les herbes de son ombrelle, la tete un peu baissee,
contemplant ses pieds, et chantant, filant des sons, essayant des
roulades, osant des trilles.
Son petit front, etroit, qu'il aimait tant, etait donc vide, vide! Il
n'y avait la dedans que cette musique de serinette; et les pensees qui
s'y formaient par hasard etaient pareilles a cette musique. Elle ne
comprenait rien de lui; ils etaient plus separes que s'ils ne vivaient
pas ensemble. Ses baisers n'allaient donc jamais plus loin que les
levres?
Alors elle releva les yeux vers lui et sourit encore. Il fut remue
jusqu'aux moelles, et, ouvrant les bras, dans un redoublement d'amour,
il l'etreignit passionnement.
Comme il chiffonnait sa robe, elle finit par se degager, en murmurant
par compensation:--"Va, je t'aime bien, mon chat."
Mais il la saisit par la taille, et, pris de folie, l'entraina en
courant; et il l'embrassait sur la joue, sur la tempe, sur le cou, tout
en sautant d'allegresse. Ils s'abattirent, haletants, au pied d'un
buisson incendie par les rayons du soleil couchant, et, avant d'avoir
repris haleine, ils s'unirent, sans qu'elle comprit son exaltation.
Ils revenaient en se tenant les deux mains, quand soudain, a travers les
arbres, ils apercurent sur la riviere le canot monte par les quatre
femmes. La grosse Pauline aussi les vit, car elle se redressa, envoyant
a Madeleine des baisers. Puis elle cria:--"A ce soir!"
Madeleine repondit:--"A ce soir!"
Paul crut sentir soudain son coeur enveloppe de glace.
Et ils rentrerent pour diner.
Ils s'installerent sous une des tonnelles au bord de l'eau et se mirent
a manger en silence. Quand la nuit fut venue, on apporta une bougie,
enfermee dans un globe de verre, qui les eclairait d'une lueur faible et
vacillante; et l'on entendait a tout moment les explosions de cris des
canotiers dans la grande salle du premier.
Vers le dessert, Paul, prenant tendrement la main de Madeleine, lui
dit:--"Je me sens tres fatigue, ma mignonne; si tu veux, nous nous
coucherons de bonne heure."
Mais elle avait compris la ruse, et elle lui lanca ce regard
enigmatique, ce regard a perfidies qui apparait si vite au fond de
l'oeil de la femme. Puis, apres avoir reflec
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