hi, elle repondit:--"Tu te
coucheras si tu veux, moi j'ai promis d'aller au bal de la
Grenouillere."
Il eut un sourire lamentable, un de ces sourires dont on voile les plus
horribles souffrances, mais il repondit, d'un ton caressant et
navre:--"Si tu etais bien gentille, nous resterions tous les deux." Elle
fit "non" de la tete sans ouvrir la bouche. Il insista:--"T'en prie! ma
bichette." Alors elle rompit brusquement:--"Tu sais ce que je t'ai dit.
Si tu n'es pas content, la porte est ouverte. On ne te retient pas.
Quant a moi, j'ai promis: j'irai."
Il posa ses deux coudes sur la table, enferma son front dans ses mains,
et resta la, revant douloureusement.
Les canotiers redescendirent en braillant toujours. Ils repartaient
dans leurs yoles pour le bal de la Grenouillere.
Madeleine dit a Paul:--"Si tu ne viens pas, decide-toi, je demanderai a
un de ces messieurs de me conduire."
Paul se leva:--"Allons!" murmura-t-il.
Et ils partirent.
La nuit etait noire, pleine d'astres, parcourue par une haleine
embrasee, par un souffle pesant, charge d'ardeurs, de fermentations, de
germes vifs qui, meles a la brise, ralentissaient. Elle promenait sur
les visages une caresse chaude, faisait respirer plus vite, haleter un
peu, tant elle semblait epaissie et lourde.
Les yoles se mettaient en route, portant a l'avant une lanterne
venitienne. On ne distinguait point les embarcations, mais seulement ces
petits falots de couleur, rapides et dansants, pareils a des lucioles en
delire; et des voix couraient dans l'ombre de tous cotes.
La yole des deux jeunes gens glissait doucement. Parfois, quand un
bateau lance passait pres d'eux, ils apercevaient soudain le dos blanc
du canotier eclaire par sa lanterne.
Lorsqu'ils eurent tourne le coude de la riviere, la Grenouillere leur
apparut dans le lointain. L'etablissement en fete etait orne de
girandoles, de guirlandes en veilleuses de couleur, de grappes de
lumieres. Sur la Seine circulaient lentement quelques gros bachots
representant des domes, des pyramides, des monuments compliques en feux
de toutes nuances. Des festons enflammes trainaient jusqu'a l'eau; et
quelquefois un falot rouge ou bleu, au bout d'une immense canne a peche
invisible, semblait une grosse etoile balancee.
Toute cette illumination repandait une lueur alentour du cafe, eclairait
de bas en haut les grands arbres de la berge dont le tronc se detachait
en gris pale, et les feuilles en vert laiteux, sur l
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