er. J'etais
ballotte comme au milieu d'une tempete; j'entendis des bruits autour de
moi; je me dressai d'un bond: l'eau brillait, tout etait calme.
Je compris que j'avais les nerfs un peu ebranles et je resolus de m'en
aller. Je tirai sur ma chaine; le canot se mit en mouvement, puis je
sentis une resistance, je tirai plus fort, l'ancre ne vint pas; elle
avait accroche quelque chose au fond de l'eau et je ne pouvais la
soulever; je recommencai a tirer, mais inutilement. Alors, avec mes
avirons, je fis tourner mon bateau et je le portai en amont pour
changer la position de l'ancre. Ce fut en vain, elle tenait toujours; je
fus pris de colere et je secouai la chaine rageusement. Rien ne remua.
Je m'assis decourage et je me mis a reflechir sur ma position. Je ne
pouvais songer a casser cette chaine ni a la separer de l'embarcation,
car elle etait enorme et rivee a l'avant dans un morceau de bois plus
gros que mon bras; mais comme le temps demeurait fort beau, je pensai
que je ne tarderais point, sans doute, a rencontrer quelque pecheur qui
viendrait a mon secours. Ma mesaventure m'avait calme; je m'assis et je
pus enfin fumer ma pipe. Je possedais une bouteille de rhum, j'en bus
deux ou trois verres, et ma situation me fit rire. Il faisait tres
chaud, de sorte qu'a la rigueur je pouvais, sans grand mal, passer la
nuit a la belle etoile.
Soudain, un petit coup sonna contre mon bordage. Je fis un soubresaut,
et une sueur froide me glaca des pieds a la tete. Ce bruit venait sans
doute de quelque bout de bois entraine par le courant, mais cela avait
suffi et je me sentis envahi de nouveau par une etrange agitation
nerveuse. Je saisis ma chaine et je me raidis dans un effort desespere.
L'ancre tint bon. Je me rassis epuise.
Cependant, la riviere s'etait peu a peu couverte d'un brouillard blanc
tres epais qui rampait sur l'eau fort bas, de sorte que, en me dressant
debout, je ne voyais plus le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau, mais
j'apercevais seulement les pointes des roseaux, puis, plus loin, la
plaine toute pale de la lumiere de la lune, avec de grandes taches
noires qui montaient dans le ciel, formees par des groupes de peupliers
d'Italie. J'etais comme enseveli jusqu'a la ceinture dans une nappe de
coton d'une blancheur singuliere, et il me venait des imaginations
fantastiques. Je me figurais qu'on essayait de monter dans ma barque que
je ne pouvais plus distinguer, et que la riviere, cachee par ce
brouillard opaqu
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