e, devait etre pleine d'etres etranges qui nageaient
autour de moi. J'eprouvais un malaise horrible, j'avais les tempes
serrees, mon coeur battait a m'etouffer; et, perdant la tete, je pensai
a me sauver a la nage; puis aussitot cette idee me fit frissonner
d'epouvante. Je me vis, perdu, allant a l'aventure dans cette brume
epaisse, me debattant au milieu des herbes et des roseaux que je ne
pourrais eviter, ralant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant
plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tire par les
pieds tout au fond de cette eau noire.
En effet, comme il m'eut fallu remonter le courant au moins pendant cinq
cents metres avant de trouver un point libre d'herbes et de joncs ou je
pusse prendre pied, il y avait pour moi neuf chances sur dix de ne
pouvoir me diriger dans ce brouillard et de me noyer, quelque bon nageur
que je fusse.
J'essayai de me raisonner. Je me sentais la volonte bien ferme de ne
point avoir peur, mais il y avait en moi autre chose que ma volonte, et
cette autre chose avait peur. Je me demandai ce que je pouvais redouter;
mon _moi_ brave railla mon _moi_ poltron, et jamais aussi bien que ce
jour-la je ne saisis l'opposition des deux etres qui sont en nous, l'un
voulant, l'autre resistant, et chacun l'emportant tour a tour.
Cet effroi bete et inexplicable grandissait toujours et devenait de la
terreur. Je demeurais immobile, les yeux ouverts, l'oreille tendue et
attendant. Quoi? Je n'en savais rien, mais ce devait etre terrible. Je
crois que si un poisson se fut avise de sauter hors de l'eau, comme cela
arrive souvent, il n'en aurait pas fallu davantage pour me faire tomber
raide, sans connaissance.
Cependant, par un effort violent, je finis par ressaisir a peu pres ma
raison qui m'echappait. Je pris de nouveau ma bouteille de rhum et je
bus a grands traits. Alors une idee me vint et je me mis a crier de
toutes mes forces en me tournant successivement vers les quatre points
de l'horizon. Lorsque mon gosier fut absolument paralyse, j'ecoutai.--Un
chien hurlait, tres loin.
Je bus encore et je m'etendis tout de mon long au fond du bateau. Je
restai ainsi peut-etre une heure, peut-etre deux, sans dormir, les yeux
ouverts, avec des cauchemars autour de moi. Je n'osais pas me lever et
pourtant je le desirais violemment; je remettais de minute en minute. Je
me disais:--"Allons, debout!" et j'avais peur de faire un mouvement. A
la fin, je me soulevai avec des precautions i
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