commis porte-balle descendit lui-meme a Rouen, apres s'etre
montre si grossier que Madame se vit obligee de le remettre vertement a
sa place. Elle ajouta, comme morale:--"Ca nous apprendra a causer au
premier venu."
A Oissel, elles changerent de train, et trouverent a une gare suivante
M. Joseph Rivet qui les attendait avec une grande charrette pleine de
chaises et attelee d'un cheval blanc.
Le menuisier embrassa poliment toutes ces dames et les aida a monter
dans sa carriole. Trois s'assirent sur trois chaises au fond; Raphaele,
Madame et son frere, sur les trois chaises de devant, et Rosa, n'ayant
point de siege, se placa tant bien que mal sur les genoux de la grande
Fernande; puis l'equipage se mit en route. Mais, aussitot, le trot
saccade du bidet secoua si terriblement la voiture que les chaises
commencerent a danser, jetant les voyageuses en l'air, a droite, a
gauche, avec des mouvements de pantins, des grimaces effarees, des cris
d'effroi, coupes soudain par une secousse plus forte. Elles se
cramponnaient aux cotes du vehicule; les chapeaux tombaient dans le dos,
sur le nez ou vers l'epaule; et le cheval blanc allait toujours,
allongeant la tete, et la queue droite, une petite queue de rat sans
poil dont il se battait les fesses de temps en temps. Joseph Rivet, un
pied tendu sur le brancard, l'autre jambe repliee sous lui, les coudes
tres eleves, tenait les renes, et de sa gorge s'echappait a tout instant
une sorte de gloussement qui, faisant dresser les oreilles au bidet,
accelerait son allure.
Des deux cotes de la route la campagne verte se deroulait. Les colzas
en fleur mettaient de place en place une grande nappe jaune ondulante
d'ou s'elevait une saine et puissante odeur, une odeur penetrante et
douce, portee tres loin par le vent. Dans les seigles deja grands des
bluets montraient leurs petites tetes azurees que les femmes voulaient
cueillir, mais M. Rivet refusa d'arreter. Puis parfois, un champ tout
entier semblait arrose de sang tant les coquelicots l'avaient envahi. Et
au milieu de ces plaines colorees ainsi par les fleurs de la terre, la
carriole, qui paraissait porter elle-meme un bouquet de fleurs aux
teintes plus ardentes, passait au trot du cheval blanc, disparaissait
derriere les grands arbres d'une ferme, pour reparaitre au bout du
feuillage et promener de nouveau a travers les recoltes jaunes et
vertes, piquees de rouge ou de bleu, cette eclatante charretee de femmes
qui fuyait sous le so
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