isiens qui
sont loges la, pour toujours, troglodytes definitifs enfermes dans leurs
petits caveaux, dans leurs petits trous couverts d'une pierre ou marques
d'une croix, tandis que les vivants occupent tant de place et font tant
de bruit, ces imbeciles.
Puis encore, dans les cimetieres, il y a des monuments presque aussi
interessants que dans les musees. Le tombeau de Cavaignac m'a fait
songer, je l'avoue, sans le comparer, a ce chef-d'oeuvre de Jean Goujon:
le corps de Louis de Breze, couche dans la chapelle souterraine de la
cathedrale de Rouen; tout l'art dit moderne et realiste est venu de la,
messieurs. Ce mort, Louis de Breze, est plus vrai, plus terrible, plus
fait de chair inanimee, convulsee encore par l'agonie, que tous les
cadavres tourmentes qu'on tortionne aujourd'hui sur les tombes.
Mais au cimetiere Montmartre on peut encore admirer le monument de
Baudin, qui a de la grandeur; celui de Gautier, celui de Muerger, ou j'ai
vu l'autre jour une seule pauvre couronne d'immortelles jaunes, apportee
par qui? par la derniere grisette, tres vieille, et concierge aux
environs, peut-etre? C'est une jolie statuette de Millet, mais que
detruisent l'abandon et la salete. Chante la jeunesse, o Muerger!
Me voici donc entrant dans le cimetiere Montmartre, et tout a coup
impregne de tristesse, d'une tristesse qui ne faisait pas trop de mal,
d'ailleurs, une de ces tristesses qui vous font penser, quand on se
porte bien: "Ca n'est pas drole, cet endroit-la, mais le moment n'en est
pas encore venu pour moi..."
L'impression de l'automne, de cette humidite tiede qui sent la mort des
feuilles et le soleil affaibli, fatigue, anemique, aggravait en la
poetisant la sensation de solitude et de fin definitive flottant sur ce
lieu, qui sent la mort des hommes.
Je m'en allais a petits pas dans ces rues de tombes, ou les voisins ne
voisinent point, ne couchent plus ensemble et ne lisent pas de journaux.
Et je me mis, moi, a lire les epitaphes. Ca, par exemple, c'est la chose
la plus amusante du monde. Jamais Labiche, jamais Meilhac ne m'ont fait
rire comme le comique de la prose tombale. Ah! quels livres superieurs a
ceux de Paul de Kock pour ouvrir la rate que ces plaques de marbre et
ces croix ou les parents des morts ont epanche leurs regrets, leurs
voeux pour le bonheur du disparu dans l'autre monde, et leur espoir de
le rejoindre--blagueurs!
Mais j'adore surtout, dans ce cimetiere, la partie abandonnee,
solitaire, plein
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