ait
un air farceur et bon enfant. Il salua, sourit et demanda avec
aisance:--"Ces dames changent de garnison?"--Cette question jeta dans le
groupe une confusion embarrassee. Madame enfin reprit contenance, et
elle repondit sechement, pour venger l'honneur du corps:--"Vous pourriez
bien etre poli!"--Il s'excusa:--"Pardon, je voulais dire de
monastere."--Madame ne trouvant rien a repliquer, ou jugeant peut-etre
la rectification suffisante, fit un salut digne en pincant les levres.
Alors le monsieur, qui se trouvait assis entre Rosa la Rosse et le vieux
paysan, se mit a cligner de l'oeil aux trois canards dont les tetes
sortaient du grand panier; puis, quand il sentit qu'il captivait deja
son public, il commenca a chatouiller ces animaux sous le bec, en leur
tenant des discours droles pour derider la societe:--"Nous avons quitte
notre petite ma-mare! couen! couen! couen!--pour faire connaissance avec
la petite broche,--couen! couen! couen!"--Les malheureuses betes
tournaient le cou afin d'eviter ses caresses, faisaient des efforts
affreux pour sortir de leur prison d'osier; puis soudain toutes trois
ensemble pousserent un lamentable cri de detresse:--Couen! couen! couen!
couen!--Alors ce fut une explosion de rires parmi les femmes. Elles se
penchaient, elles se poussaient pour voir; on s'interessait follement
aux canards; et le monsieur redoublait de grace, d'esprit et
d'agaceries.
Rosa s'en mela, et, se penchant par-dessus les jambes de son voisin,
elle embrassa les trois betes sur le nez. Aussitot chaque femme voulut
les baiser a son tour; et le monsieur asseyait ces dames sur ses genoux,
les faisait sauter, les pincait; tout a coup il les tutoya.
Les deux paysans, plus affoles encore que leurs volailles, roulaient des
yeux de possedes sans oser faire un mouvement, et leurs vieilles figures
plissees n'avaient pas un sourire, pas un tressaillement.
Alors le monsieur, qui etait commis voyageur, offrit par farce des
bretelles a ces dames, et, s'emparant d'un de ses paquets, il l'ouvrit.
C'etait une ruse, le paquet contenait des jarretieres.
Il y en avait en soie bleue, en soie rose, en soie rouge, en soie
violette, en soie mauve, en soie ponceau, avec des boucles de metal
formees par deux amours enlaces et dores. Les filles pousserent des cris
de joie, puis examinerent les echantillons, reprises par la gravite
naturelle a toute femme qui tripote un objet de toilette. Elles se
consultaient de l'oeil ou d'un mot chu
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