ue d'une taie. Son nez arque tombait sur une
machoire accentuee ou deux dents neuves, en haut, faisaient tache a
cote de celles du bas qui avaient pris en vieillissant une teinte foncee
comme les bois anciens.
Rosa la Rosse, une petite boule de chair tout en ventre avec des jambes
minuscules, chantait du matin au soir, d'une voix eraillee, des couplets
alternativement grivois ou sentimentaux, racontait des histoires
interminables et insignifiantes, ne cessait de parler que pour manger et
de manger que pour parler, remuait toujours, souple comme un ecureuil
malgre sa graisse et l'exiguite de ses pattes; et son rire, une cascade
de cris aigus, eclatait sans cesse, de-ci, de-la, dans une chambre, au
grenier, dans le cafe, partout, a propos de rien.
Les deux femmes du rez-de-chaussee, Louise, surnommee Cocote, et Flora,
dite Balancoire parce qu'elle boitait un peu, l'une toujours en
_Liberte_ avec une ceinture tricolore, l'autre en Espagnole de fantaisie
avec des sequins de cuivre qui dansaient dans ses cheveux carotte a
chacun de ses pas inegaux, avaient l'air de filles de cuisine habillees
pour un carnaval. Pareilles a toutes les femmes du peuple, ni plus
laides, ni plus belles, vraies servantes d'auberge, on les designait
dans le port sous le sobriquet des deux Pompes.
Une paix jalouse, mais rarement troublee, regnait entre ces cinq femmes,
grace a la sagesse conciliante de Madame et a son intarissable bonne
humeur.
L'etablissement, unique dans la petite ville, etait assidument
frequente. Madame avait su lui donner une tenue si comme il faut; elle
se montrait si aimable, si prevenante envers tout le monde; son bon
coeur etait si connu, qu'une sorte de consideration l'entourait. Les
habitues faisaient des frais pour elle, triomphaient quand elle leur
temoignait une amitie plus marquee; et lorsqu'ils se rencontraient dans
le jour pour leurs affaires, ils se disaient: "A ce soir, ou vous
savez", comme on se dit: "Au cafe, n'est-ce pas? apres diner."
Enfin la maison Tellier etait une ressource, et rarement quelqu'un
manquait au rendez-vous quotidien.
Or, un soir, vers la fin du mois de mai, le premier arrive, M. Poulin,
marchand de bois et ancien maire, trouva la porte close. La petite
lanterne, derriere son treillage, ne brillait point; aucun bruit ne
sortait du logis, qui semblait mort. Il frappa, doucement d'abord, avec
plus de force ensuite; personne ne repondit. Alors il remonta la rue a
petits pas, et, com
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