esprits etant aigris par l'ennui, on en serait peut-etre venu aux
voies de fait si les autres ne s'etaient interposes. M. Pimpesse,
furieux, se retira; et aussitot une nouvelle altercation s'eleva entre
l'ancien maire, M. Poulin, et l'agent d'assurances, M. Dupuis, au sujet
des appointements du percepteur et des benefices qu'il pouvait se creer.
Les propos injurieux pleuvaient des deux cotes, quand une tempete de
cris formidables se dechaina, et la troupe des matelots, fatigues
d'attendre en vain devant une maison fermee, deboucha sur la place. Ils
se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession,
et ils vociferaient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula
sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de
l'abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur diminuant comme un
orage qui s'eloigne; et le silence se retablit.
M. Poulin et M. Dupuis, enrages l'un contre l'autre, partirent, chacun
de son cote, sans se saluer.
Les quatre autres se remirent en marche, et redescendirent
instinctivement vers l'etablissement Tellier. Il etait toujours clos,
muet, impenetrable. Un ivrogne, tranquille et obstine, tapait des
petits coups dans la devanture du cafe, puis s'arretait pour appeler a
mi-voix le garcon Frederic. Voyant qu'on ne lui repondait point, il prit
le parti de s'asseoir sur la marche de la porte, et d'attendre les
evenements.
Les bourgeois allaient se retirer quand la bande tumultueuse des hommes
du port reparut au bout de la rue. Les matelots francais braillaient la
_Marseillaise_, les anglais le _Rule Britannia_. Il y eut un ruement
general contre les murs, puis le flot de brutes reprit son cours vers le
quai, ou une bataille eclata entre les marins des deux nations. Dans la
rixe, un Anglais eut le bras casse, et un Francais le nez fendu.
L'ivrogne, qui etait reste devant la porte, pleurait maintenant comme
pleurent les pochards ou les enfants contraries.
Les bourgeois, enfin, se disperserent.
Peu a peu le calme revint sur la cite troublee. De place en place,
encore par instants, un bruit de voix s'elevait, puis s'eteignait dans
le lointain.
Seul, un homme errait toujours, M. Tournevau, le saleur, desole
d'attendre au prochain samedi; et il esperait on ne sait quel hasard, ne
comprenant pas, s'exasperant que la police laissat fermer ainsi un
etablissement d'utilite publique qu'elle surveille et tient sous sa
garde.
Il y retourna, flairant les murs, c
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