exprimait quelque chose.
Ce fut ce qu'eprouva Roger: du front et des paupieres il passa aux
fossettes, puis aux levres, puis aux dents, puis au menton, descendant
ainsi aux epaules, au corsage, a la taille, aux pieds, pour remonter
aux cheveux et au front, ne s'interrompant que lorsque le regard de
Corysandre rencontrait le sien; encore temoignait-elle si peu d'embarras
a se surprendre ainsi admiree et paraissait-elle trouver cela si naturel
que c'etait plutot pour lui que pour elle, par pudeur et par respect,
qu'il detournait ses yeux un moment.
Le temps passa sans qu'il en eut conscience et sans qu'il eut conscience
aussi de ce qui se disait autour de lui. Tout a coup, il fut surpris
et comme eveille par une main qui se posait sur son epaule,--celle de
Savine.
--Nous allons a Eberstein, dit celui-ci, et nous redescendrons diner au
bord de la Murg, une partie arrangee depuis quelques jours. Voulez-vous
venir avec nous, mon cher Naurouse? ma voiture nous attend.
Par convenance, Roger se defendit un peu; mais madame de Barizel s'etant
jointe a Savine et Corysandre l'ayant regarde en souriant, il accepta.
Ce n'etait point une vulgaire voiture de louage qui devait servir a
cette promenade, mais bien une caleche aux armes de Savine, avec un
cocher et deux valets de pied portant la livree du prince; la caleche
decouverte avait tout l'eclat du neuf et les chevaux, choisis parmi
les plus beaux de son haras, forcaient l'attention des curieux et
l'admiration des connaisseurs; on ne pouvait pas passer pres d'eux sans
les regarder et, les ayant vus, on ne les oubliait pas: luxe de la
voiture, beaute des chevaux, prestance du cocher et des valets de pied,
richesse de la livree, tout cela faisait partie de la mise en scene
dont Savine aimait a s'entourer dans ses representations, bien plus
par besoin de briller que par gout reel du beau. Aussi, ne manquait-il
jamais, avant de monter en voiture, de promener un regard circulaire
sur les curieux pour voir si l'effet produit etait en proportion de
la depense,--ce qui, avec son esprit d'economie, etait pour lui une
preoccupation constante.
Son bonheur fut complet, car a ce moment meme Otchakoff vint a passer
trainant lourdement son ennui, et ce ne fut pas sur lui que les regards
des curieux s'arreterent; ils ne quitterent pas la caleche et Savine
remarqua des mouvements d'yeux, des coups de coude, des chuchotements
tout a faits significatifs, qui le comblerent de joie.
Jam
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